En ce troisième Dimanche de Carême, la liturgie pour les catéchumènes, nous propose un des textes les plus beaux et profonds de la Bible : le dialogue entre Jésus et la Samaritaine (cfr Jn 4.5-42). Il est impossible de rendre dans une brève explication la richesse de cette page de l’évangile : il faut la lire et la méditer personnellement, en s’identifiant à cette femme qui, un jour comme tant d’autres, alla puiser l’eau du puits et y trouva Jésus, assis à côté, « fatigué du voyage », dans la chaleur du midi. Même si nous sommes baptisés depuis longtemps, entrons dans l’itinéraire baptismal qui nous est proposé. Faisons comme les catéchumènes, écoutons et regardons la scène qui vient d’être racontée. I – La scène du puits : Deux personnages sont au premier plan : Jésus et une femme, la Samaritaine. Jésus est fatigué. Il s’assoit sur le bord d’un puits pour se reposer. Dans l’Évangile, ceux qui sont assis pour demander, ce sont les mendiants. Jésus lui aussi mendie, il a « un corps qui expérimente la fatigue des jours : consumé par le soin amoureux des autres ». Ce n’est donc pas seulement l’homme qui est mendiant de Dieu. C’est aussi « Dieu qui est mendiant de l’homme ».
Avec sa faiblesse, Il est venu nous chercher. Jésus vient nous chercher dans la part la plus profonde de notre fragilité, pour que nous nous sentions compris et cherchés par la soif de Jésus. Celle-ci dont on ne connaît pas le nom vient puiser de l’eau pour sa maisonnée. Elle a un seau qu’elle désire descendre dans le puits. Mais la présence de Jésus la surprend et l’empêche de le faire. Ce qui la surprend encore plus c’est la question de Jésus « Donne-moi à boire ». Jésus a soif.
L’eau est un bien précieux, hier c’était la journée mondiale de l’eau. La Journée mondiale de l’eau 2019 avait pour thème «Ne laisser personne de côté». On sait que c’est un bien inégalement partagé sur la terre : 2,1 milliards de personnes ne disposent pas d’eau potable chez elles. Une école primaire sur quatre ne dispose pas d’eau potable : soit les enfants ne boivent pas, soit ils consomment de l’eau provenant de sources non protégées. Chaque jour, plus de 700 enfants de moins de cinq ans meurent de diarrhées causées par de l’eau insalubre ou le manque d’assainissement. À l’échelle mondiale, 80% des personnes utilisant une eau impropre à la consommation et des sources non protégées vivent en milieu rural.
Mais il y a d’autres soifs que celle de l’eau ( A Bordeaux, c’est plutôt le vin… car le vin c’est la France, et l’eau… la Sous France !!!)
Trêve de plaisanterie, nous avons soif d’abord de voir nos besoins élémentaires comblés. Sans nourriture et sans sommeil, sans hygiène et sans vêtement, nous ne pouvons vivre. Ils le savent bien tous ceux et celles qui, dans les pays du Sud et jusque dans nos villes d’Europe, manquent du plus nécessaire.
De quoi avons-nous soif ? De voir aussi nos droits fondamentaux reconnus et respectés. Au fil de l’histoire, les droits économiques sociaux et culturels sont venus s’ajouter aux droits civils et politiques reconnus par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Nous avons soif de dignité, d’égalité et de liberté, soif de liberté de pensée, de conscience et de religion, soif de voir notre santé préservée, de participer à la vie publique et culturelle de la société dans laquelle nous vivons, soif d’une Église propre.
Dieu veut que ces soifs soient honorées pour que l’homme vive debout : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger. J’avais soif et vous m’avez donné à boire… » (Mt 25, 35)
D’autres soifs nous habitent. Elles peuvent paraître moins aiguës, elles font pourtant notre humanité. Soif de tranquillité ; soif d’indépendance ; soif de temps libre… Elles disent notre désir d’être en harmonie avec nous-mêmes, et avec le monde qui nous entoure.
Il est enfin des soifs insatiables qui touchent à notre identité humaine et spirituelle : soif d’amour et de reconnaissance, soif de justice et de pardon. On sent bien qu’appuyés sur nos besoins et nos droits, nous cherchons ainsi le sens profond de notre vie. Soifs insatiables parce que sans cesse relancées, toujours en recherche et en voie d’accomplissement.
Saint Augustin fit ce commentaire : « La soif torture les hommes en ce monde, et ils ne comprennent pas qu’ils se trouvent dans un désert où c’est de Dieu que leur âme a soif. Disons donc, nous : “Mon âme a soif de toi.” Que ce soit le cri de nous tous, car unis au Christ nous ne faisons plus qu’une seule âme. Puisse notre âme être assoiffée de Dieu. Les yeux fixés sur la résurrection du Christ dont Dieu nous donne l’espérance, au milieu de toutes les carences qui nous accablent, monte en nous la soif de la vie incorruptible. Notre chair a soif de Dieu » (St Augustin).
Le thème de la soif et de l’eau traverse tout l’Évangile de Jean : de la rencontre avec la Samaritaine, à la grande prophétie lors de la fête des Cabanes (Jn 7.37-38), jusqu’à la Croix, lorsque Jésus, avant de mourir, dit pour réaliser les Écritures : « J’ai soif » (Jn 19.28). La soif du Christ est une porte d’accès au mystère de Dieu, qui s’est laissé assoiffer pour nous désaltérer, comme il s’est fait pauvre pour nous enrichir (cfr 2 Cor 8.9). Oui, Dieu a soif de notre foi et de notre Amour.
La Samaritaine s’étonne de cette soif de Jésus qu’elle ne comprend pas encore : « Comment ! Toi un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » Et Jésus de répondre : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit :’Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive ». Quel renversement ! Jésus est Celui qui donne à l’homme l’Esprit-Saint, l’eau vive qui désaltère notre cœur inquiet, assoiffé de vie, d’amour, de liberté, de paix : assoiffé de Dieu.
La suite du dialogue de Jésus avec cette femme est pour l’évangéliste saint Jean une occasion de nous livrer une conversation qui aboutit à la révélation de sa proximité particulière avec Dieu. En effet, en réponse à la femme qui lui dit « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses », Jésus lui dit « Je le suis, moi qui te parle. » Cette révélation tombe à point pour ceux et celles qui reçoivent le baptême. En effet, c’est par Jésus qu’est apportée et donnée au baptisé la vie nouvelle en Dieu, qui le fait passer de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière. Et quand Jésus dit à la femme tout ce qu’elle a fait dans sa vie affective (elle a eu cinq maris et celui avec qui elle vit n’est pas son mari), elle ne se sent pas jugée. Et même, elle se sent rencontrée, visitée par la grâce, libérée par la vérité du Seigneur.
Quelle est notre soif ? Comme avec la Samaritaine, Jésus nous permet de discerner la soif profonde de notre vie. Scrutés par Jésus, comme les catéchumènes, nous pouvons discerner la vérité de notre existence dans le regard d’amour du Christ. Où nous désaltérer ? Comme pour la Samaritaine, Jésus veut nous donner une « eau vive, source jaillissante pour la vie éternelle ».