Dans l’Évangile, tiré des discours d’adieu de Jésus, se profilent en arrière plan trois sujets mystérieux, inextricablement unis entre eux. « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière… Tout ce qui appartient au Père est à moi [au Fils !] ». En réfléchissant sur ces textes et d’autres textes de la même teneur, l’Église est parvenue à sa foi en Dieu un et trine. Beaucoup s’interrogent : « Mais qu’est-ce que ce rébus de trois qui sont un et un qui est trois ? ». Ne serait-ce pas plus facile de croire en un Dieu unique tout simplement, comme le font les juifs et les musulmans ? La réponse est simple. L’Église croit à la Trinité, non pas parce qu’elle prend goût à compliquer les choses mais parce que cette vérité lui a été révélée par le Christ. La difficulté de comprendre le mystère de la Trinité est un argument en faveur, et non contre le caractère véridique de ce mystère. Aucun homme n’aurait pu, de lui-même, imaginer un tel mystère.
Le mystère de la sainte Trinité est appelé par les docteurs la substance du Nouveau Testament, c’est-à-dire le plus grand de tous les mystères, la source et le fondement des autres.
« Lorsque nous parlons de la sainte Trinité, il faut de la prudence et de la réserve, parce que comme le dit saint Augustin, il n’y a pas de sujet où l’erreur soir plus dangereuse, les investigations plus laborieuses, ni les découvertes plus fructueuses. »
Saint Hilaire, qui a pourtant écrit un traité sur la Trinité, nous propose aussi la foi du charbonnier ! « Pour moi je penserai comme ces hommes que tu as choisis ; avec eux je ne dirai rien sur ton Fils unique qui déborde les capacités de mon intelligence, et je me contenterai de dire qu’il est né ; de même avec eux je n’avancerai rien sur ton Esprit Saint qui dépasse les ressources de l’esprit humain et je déclarerai uniquement qu’il est ton Esprit. Ne discutons plus, la confession ferme d’une foi qui n’hésite plus me suffit »
Après que le mystère ait été révélé, nous comprenons de manière intuitive que, si Dieu existe, il ne peut être qu’ainsi : un et trine dans le même temps. L’amour ne peut exister qu’entre deux personnes ou plus ; si par conséquent « Dieu est amour », il doit y avoir en lui quelqu’un qui aime, quelqu’un qui est aimé et l’amour qui les unit, cet amour qui unit le Père et le Fils est la personne du Saint Esprit. Les chrétiens sont eux aussi monothéistes ; ils croient en un Dieu qui est unique, mais pas solitaire. Qui aimerait Dieu s’il était absolument seul ? Lui-même peut-être ? Mais alors ce ne serait plus de l’amour mais de l’égoïsme ou du narcissisme. Dieu qui est amour me fait donc découvrir ce qu’aimer veut dire. Je retiens tout spécialement cette espèce de dynamisme centrifuge de l’amour. Loin de tout ramener à soi, l’amour se trouve en se donnant. À travers les évangiles et la liturgie de l’Église, cela est flagrant : le Père, le Fils et l’Esprit… chacun renvoie aux deux autres et semble s’effacer pour mettre les autres en valeur.
Le Père ? … Lui que nul n’a jamais vu et que l’on ne peut donc pas représenter s’efface devant le Fils (dans le Symbole des Apôtres, deux lignes seulement pour le Père et dix lignes pour le Fils !).
Le Fils ? … Dans le « Gloire à Dieu », on le réfère tellement au Père qu’on dit de Lui : « Seigneur Dieu, Agneau de Dieu, le Fils du Père »… « le Fils du Père » ! … superbe pléonasme qui souligne l’impossibilité de parler de Jésus sans parler de Dieu son Père ! « Le Père, dit Jésus, est plus grand que moi » … et encore « non pas ma volonté, mais celle de mon Père ». Jésus renvoie toujours au Père et s’efface devant l’Esprit qu’il annonce et promet : « il est bon pour vous que je m’en aille »... « l’Esprit vous donnera de faire des choses plus grandes encore ».
L’Esprit ? … C’est Lui qui nous fait nommer Dieu « Père » : « l’Esprit fait de nous des fils qui crions vers Dieu en l’appelant : ‘Abba!’ » . L’Esprit nous oriente vers le Père et nous renvoie toujours à Jésus : « Nul ne peut dire ‘Jésus est Seigneur’ si ce n’est sous l’action de l’Esprit ». L’Esprit nous fait reconnaître en Jésus le Christ.
Alors, si aimer c’était cela : ne pas chercher sa propre gloire, mais vouloir que l’autre grandisse, aime et soit aimé… alors, je peux me poser bien des questions sur ma manière d’aimer mes proches. Est-ce que vraiment je les aime pour eux-mêmes ou pour l’avantage que je pourrais en tirer ?
La Trinité, Dieu unique, communion d’amour, nous offre un autre formidable enseignement de vie. Ce mystère est l’affirmation par excellence que nous pouvons être semblables et divers : semblables de par notre dignité et divers de par nos caractéristiques. N’est-ce pas ce que nous avons le plus besoin d’apprendre, pour bien vivre dans ce monde ? C’est-à-dire que nous pouvons être divers de par la couleur de notre peau, notre culture, notre sexe, notre race, notre religion, mais que nous jouissons de la même dignité, comme personnes humaines ?
C’est dans la famille que cet enseignement s’applique d’abord et le plus naturellement. La famille devrait être un reflet terrestre de la Trinité. Celle-ci est faite de personnes diverses de par leur sexe (homme et femme) et leur âge (parents et enfants), avec toutes les conséquences qui dérivent de ces diversités : des sentiments différents, des attitudes et des goûts différents.
Nous voyons en conclusion à travers tout cela combien il est erroné de considérer la Trinité comme un mystère éloigné de la vie, qu’il convient de laisser à la spéculation des théologiens. Au contraire ce mystère est extrêmement proche, pour une raison très simple : nous avons été créés à l’image du Dieu un et trine, nous en portons l’empreinte et sommes appelés à réaliser cette même synthèse sublime d’unité et de diversité. Devant ce grand mystère du seul et unique Dieu qui est à la fois Père, Fils et Saint Esprit, faisons silence et rappelons-nous que puisque Dieu est Amour, c’est lui qui m’apprendra à mieux aimer les autres.