Nous voici arrivés au dimanche des Rameaux… mais cette année, pas de Rameaux pour cause de confinement, et notre curé nous en donne les raisons légitimes : « En voici quelques raisons :
1° Dans les dispositifs prévus dans l’attestation de déplacement dérogatoire, aucune close n’est retenue de faire un détour dans l’église ni au cimetière pour faire quoi que ce soit au risque d’une contravention de 200 euros.
2° Si nous faisions une telle proposition, elle prendrait facilement résonance d’une activité officielle de culte publique même si les gens défileraient au compte-gouttes. Nous serions alors en porte–à–faux avec les recommandations de l’état d’annuler toutes les activités…
3° Enfin, vu le succès des rameaux, nous ne pourrions jamais prévoir la réaction des gens ! Il suffirait que deux ou trois personnes arrivent en même temps chercher les rameaux pour que cela devienne une infraction sans compter le risque de qui voulant chercher une belle branche de rameaux touche à tout et laisse le virus…
Je vous exhorte tout simplement à célébrer ces fêtes conformément aux indications faites par le diocèse quitte « à célébrer anachroniquement les rameaux beaucoup plus tard et de manière exceptionnelle. » (Il nous est proposé par Rome de bénir les rameaux à l’occasion de la fête de la croix glorieuse le 14 septembre).
Comme l’a bien compris un paroissien, « Je crois que l’on est appelé à vivre notre montée vers Pâques de manière tout à fait inhabituelle. Mais nous découvrons, nous vivons depuis 2 semaines (et peut être encore pour 4 ou 5 semaines) ce que vivent depuis des années les communautés vivant en Amazonie, voire dans certaines régions du Congo : absence d’assemblées dominicales, absence de prêtres, communautés éclatées… »
Mais savez-vous que le dimanche des Rameaux n’est pas le dimanche des Rameaux ?..Mais le dimanche des Rameaux et de la Passion.
Supprimez les Rameaux, il vous reste la Passion…
Supprimez les Rameaux…
Les rameaux dans la liesse populaire, c’est en effet exactement le contraire d’un geste barrière : les rameaux sont déposés sur la route pour accueillir en foule le Messie, ils sont signe de joie et de rassemblement du peuple de Dieu. Nous serons donc privés de rassemblement et de cette expression de notre foi, mais nous ne sommes pas privés de notre foi ni de nous rassembler spirituellement comme nous avons pris l’habitude de le faire. Si la joie n’est pas la caractéristique de ce temps d’épidémie, mais soyons réalistes et humains, c’est plutôt l’inquiétude et les larmes de compassion qui dominent, par contre, le cri de foi des gens accueillant Jésus peut habiter notre louange : Hosannah ! au Fils de David ! Hosannah en hébreu et pour nos frères aînés dans la foi, nos frères juifs, qu’est-ce que cela signifie : « Dans la liturgie juive, les Hoshannot sont un cycle de prières propre à la fête des cabanes (Souccot), qui se tenait autrefois dans le Temple de Jérusalem, et de nos jours à la synagogue. Lors des six premiers jours de Souccot, on défile autour de l’estrade sur laquelle on lit la Torah avec des branches de palme, de saule, de myrte et un cédrat ; le cycle est lu au septième jour de la fête, appelé pour cette raison Hoshanna Rabba (« Grande Hoshanna »), au cours duquel on réalise les mêmes processions avec des branches de saule.
Le mot hoshanna est composé de l’impératif Hifil (deuxième personne masculin singulier) du verbe « sauver » (racine yod-shin-ain) et d’une particule de déprécation ou d’insistance (nah, « s’il-te-plait », « de grâce »). Il est donc proche de l’exclamation hoshya nah ( « De grâce, secours-nous ») de Psaumes 118:25, que les Juifs lancent à Dieu lors du Hallel, qui est lu à la néoménie, lors des trois festivals bibliques (Pessa’h, Chavouot et Souccot) et des 8 jours de Hanoucca (les sionistes religieux le récitent également lors de la fête d’indépendance d’Israël). »
Donc crier et chanter Hosannah c’est prier Dieu ainsi : de grâce secours-nous ! Cela ne peut pas nous détourner du drame humain que nous partageons avec toute l’humanité mais nous place au contraire en parfaite syntonie et nous fait ainsi entrer dans ce qui demeure l’évènement central de l’Histoire : la Passion du Christ pour le salut du monde : alors chantons notre louange : Hosannah ! au plus haut des cieux, béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosannah ! au plus haut des cieux !
… il nous reste donc la Passion !
Trois groupes de personnages défilent dans la lecture solennelle de la Passion, avec traditionnellement quand c’est possible trois lecteurs en plus du narrateur : « les autres Personnages« , Jésus, les Disciples. Je vous propose de nous arrêter sur quelques éléments, tout en demandant pour vous et pour moi, que l’Esprit Saint nous fasse nous recueillir sur cette insondable richesse de ce récit de la Passion, cette année c’est celui de saint Matthieu.
–« LES AUTRES PERSONNAGES » : regardons le geste du lavement des mains de Pilate : jamais nous ne nous serons autant lavés les mains ! Tiens ! Tiens ! Ce geste figure au commencement de la Passion. Ainsi le comprend le dominicain Alain Quilici dans un savoureux dialogue du type « Pères du désert » :
« Père Anselme : Il me semble que nous pouvons tirer de la situation actuelle une utile réflexion sur les méthodes. La méthode à suivre en temps d’épidémie est à l’opposé de celle qui faut suivre au service de l’Évangile. Par exemple : le geste de Pilate de se laver les mains est tout un symbole. Pilate se lave les mains pour montrer qu’il ne se mêle pas de l’affaire, lui qui aurait dû au contraire s’y impliquer au titre de sa charge et de ses responsabilités. Eh bien l’ennemi vous dit : lavez-vous les mains ! C’est clair. Il faut se méfier tous azimuts. C’est comme s’il disait : il faut vous en laver les mains.
Théodule : Évidemment ce n’est qu’une image !
Père Anselme : En effet. Les images ne sont que des images. Mais le message est clair : là où Jésus dit : aimez-vous les uns les autres, le Tentateur dit : gardez-vous les uns des autres. Là où Jésus exhorte à l’unité, comme son Père et lui ne sont qu’un, le tentateur exhorte à l’individualité : restez deux, c’est plus prudent. Chacun chez soi, et le moins de contacts possibles pour être sauvés. On pourrait continuer… »
– JESUS : Nous contemplons Jésus dans sa Passion. Comme l’a dit le Pape François en ce temps de confinement dû au Covid-19, « Nous ne pouvons pas oublier les tragédies d’aujourd’hui, parce que la Passion du Seigneur continue dans la souffrance des hommes. Que vos cœurs trouvent, dans la Croix du Christ, soutien et réconfort au milieu des tribulations de la vie ; en embrassant la Croix comme Lui, avec humilité, confiance et abandon filial à la volonté de Dieu, vous aurez part à la gloire de la Résurrection. »
Retenons la seule parole de Jésus en croix dans l’évangile de Saint Matthieu : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » : cette Parole il l’a dite pour ceux qui meurent dans la solitude, pour tous ceux qui se demandent où est Dieu dans tout ça. Mais notre regard de foi doit être comme celui de l’aigle qui perçoit l’invisible : est-ce que le Père est absent de la Passion de son Fils ? C’est juste impossible dans l’ordre de l’Amour : s’il y a bien un moment où on a le désir de manifester son amour à ceux qu’on aime, c’est quand ils sont malades ou proches de la mort, au moins par notre présence, si ce n’est par des mots. Combien plus le Père des cieux est présent auprès de son Fils souffrant et mourant. Mais Jésus est privé du ressenti de cette présence, il ne la ressent pas, mais il le prie : il s’adresse à Lui dans ce moment de déréliction et son Père l’écoute avec tout son cœur de Père : ce cri « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » est le début d’un psaume ne l’oublions pas et Jésus le connaît par cœur, par le cœur : et le psaume se poursuit ainsi dans un cri de détresse qui se prolonge : « Le salut est loin de moi, loin des mots que je rugis. Mon Dieu, j’appelle tout le jour, et tu ne réponds pas ; même la nuit, je n’ai pas de repos…»
Mais il se termine ainsi : « Sauve-moi de la gueule du lion et de la corne des buffles. Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le Seigneur, glorifiez-le, vous tous, descendants de Jacob, vous tous, redoutez-le, descendants d’Israël. Car il n’a pas rejeté, il n’a pas réprouvé le malheureux dans sa misère ; il ne s’est pas voilé la face devant lui, mais il entend sa plainte. Tu seras ma louange dans la grande assemblée ; devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses. Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ; ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent : « A vous, toujours, la vie et la joie ! » La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur, chaque famille de nations se prosternera devant lui : « Oui, au Seigneur la royauté, le pouvoir sur les nations ! » Tous ceux qui festoyaient s’inclinent ; promis à la mort, ils plient en sa présence. Et moi, je vis pour lui : ma descendance le servira ; on annoncera le Seigneur aux générations à venir. On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son oeuvre ! »
Soyons sûrs qu’auprès de chaque malade, auprès de chaque lit de réanimation, Jésus se penche avec miséricorde : même si sa présence reste invisible, elle est réelle et il entend la plainte et les angoisses des hommes et des femmes d’aujourd’hui, car c’est pour leur donner le salut et la vie éternelle qu’il a donné sa vie sur la croix.
Et pensons enfin à la nature de la mort de Jésus : une mort d’asphyxie, selon les travaux du docteur Barbet, ce qui nous met au pied de la croix de tous ceux qui sont touchés par ce foutu virus, et en particulier de tous ceux qui ne pourront pas bénéficier de services de réanimation ici ou ailleurs dans le monde faute de structures de santé suffisantes.
Ainsi nous pourrons prendre en modèle LES FEMMES qui se tiennent à distance et se tiennent en prière pour accompagner Jésus : confinés, nous sommes pour la plupart d’entre nous à distance de la ligne de front, mais nous pouvons accompagner ceux qui souffrent par notre prière et nos larmes.
Alors oui, Hosannah ! De grâce secours-nous et fais nous trouver en cette semaine Sainte, extra-ordinaire les secours spirituels dont notre âme a besoin, dont notre paroisse a besoin, dont l’Église a besoin, dont le monde a besoin. Amen.
Père Pierre