« Qui a connu la pensée du Seigneur, quel conseiller peut l’instruire ? » nous dit saint Paul dans l’épître aux Romains, au chapitre 11.
Pierre a voulu, comme compagnon de Jésus, devenir son conseiller, et lui dire que cette vision de souffrance et de mort que Jésus annonce aux disciples le concernant, cela ne lui arrivera pas : Que Dieu l’en garde… et Jésus lui répond de façon cinglante : « passe derrière-moi Satan, tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes. »
Se faire traiter de satan n’est pas très sympathique, n’est-ce pas ? Alors quel est le problème de cette pensée de Pierre qui suscite une telle réaction de Jésus ?
Comme le dit Saint Bernard, la source de la pensée doit être l’amour : « j’ai pensé à lui, à celui que mon âme aime. Celui qui pense à vous en premier et qui vous aime en premier. L’amour est la source de la pensée, et la pensée le fruit de l’amour et sa garantie. »
Comment distinguer alors pensée de Dieu et pensée humaine quand la pensée semble être le fruit de l’amour ? Ici Pierre semble vouloir le bien de son maître : Dieu t’en garde ! C’est une pensée d’amour… mais Pierre le fait sous forme de reproches ! Et en plus il anticipe la suite : cela ne t’arrivera pas ; là, sa pensée se prend pour celle de Dieu : il se met au-dessus de Jésus, sa pensée est projection de ce qu’il veut lui, de ce qu’il pense, lui, être bon, alors que Jésus vient de dire à ses apôtres la nécessité de ce chemin : il faut que je parte à Jérusalem, que je souffre beaucoup… Au lieu d’accueillir ce message de Jésus, l’intérioriser, le digérer, le questionner humblement, Pierre laisse parler sa première pensée, certes d’amour, mais d’un amour qui veut dominer, qui prétend connaître les chemins de Dieu.
Cela me fait penser (pensée de Dieu ?) à ce petit dialogue que j’aime avoir assez souvent avec ceux avec qui je vis au quotidien : quand nous nous quittons, je dis : « à demain, Si Dieu veut… » et on me répond assez souvent, étonné ou choqué : « mais Dieu voudra ! » et je réponds alors : « Oui sans doute… mais un jour il ne voudra plus… » Nous vivons parfois comme si notre mort personnelle et celle de nos proches ne faisait pas partie de la réalité de demain ; or elle viendra sûrement. La société ne nous aide pas à apprivoiser cette réalité, même si les litanies des morts de la Covid nous ont martelé cette triste réalité en période de confinement.
La société ne nous propose pas non plus d’intégrer la souffrance dans notre programme d’humanité, mais plutôt elle nous ouvre des champs de bien-être, moyennant finances le plus souvent, nous éloignant de cette dimension incontournable de notre conditions humaine. Nous vivons souvent comme si la souffrance était notre ennemie et toujours notre ennemie.
Comme le dit Benoît XVI, dans son encyclique sur l’espérance : « Comme l’agir, la souffrance fait aussi partie de l’existence humaine. Elle découle, d’une part, de notre finitude et, de l’autre, de la somme de fautes qui, au cours de l’histoire, s’est accumulée et qui encore aujourd’hui grandit sans cesse. Il faut certainement faire tout ce qui est possible pour atténuer la souffrance : empêcher, dans la mesure où cela est possible, la souffrance des innocents; calmer les douleurs; aider à surmonter les souffrances psychiques. Autant de devoirs aussi bien de la justice que de l’amour qui rentrent dans les exigences fondamentales de l’existence chrétienne et de toute vie vraiment humaine. Dans la lutte contre la douleur physique, on a réussi à faire de grands progrès ; la souffrance des innocents et aussi les souffrances psychiques ont plutôt augmenté au cours des dernières décennies. Oui, nous devons tout faire pour surmonter la souffrance, mais l’éliminer complètement du monde n’est pas dans nos possibilités – simplement parce que nous ne pouvons pas nous extraire de notre finitude et parce qu’aucun de nous n’est en mesure d’éliminer le pouvoir du mal, de la faute, qui – nous le voyons – est continuellement source de souffrance. »
Pourtant Jésus s’adresse à tous ses disciples, et pas seulement aux apôtres : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » Jésus invite à accepter la souffrance à sa suite. Une souffrance qui va être féconde, donner la vie, participer à la rédemption du monde.
Comme l’explique Jean-Paul II : « Le Christ va au-devant de sa passion et de sa mort en pleine conscience de la mission qu’il doit accomplir précisément de cette manière. C’est précisément par cette souffrance qu’il doit faire en sorte « que l’homme ne périsse pas mais ait la vie éternelle ». C’est précisément par sa Croix qu’il doit atteindre les racines du mal enfoncées dans l’histoire de l’homme et dans l’âme humaine. C’est précisément par sa Croix qu’il doit accomplir l’œuvre du salut . Cette œuvre, dans le dessein de l’Amour éternel, a un caractère rédempteur. Et c’est pourquoi il reprend sévèrement Pierre lorsque celui-ci veut lui faire abandonner ses pensées sur la souffrance et sur la mort en croix. » (Jean-Paul II, Salvifici doloris)
Pierre résiste donc à l’annonce de la souffrance ; nous, comme Pierre nous résistons aussi à cette idée, à cette réalité de la souffrance dans nos vies.
Cependant la souffrance fait déjà partie de notre quotidien ordinaire : à commencer pour certains par se lever le matin, d’autres à dormir comme il faut, d’autres, à partir au travail ou à l’école, ou au lycée, et renoncer à jouer, renoncer à sa famille pour de nombreuses heures, et puis tant d’efforts, de petites souffrances au quotidien.
Pourtant, comme le disait le Pape François dans la première homélie de son pontificat aux cardinaux qui venaient de l’élire : « Quand nous marchons sans la Croix, quand nous édifions sans la Croix et quand nous confessons un Christ sans Croix, nous ne sommes pas disciples du Seigneur : nous sommes mondains, nous sommes des Évêques, des Prêtres, des Cardinaux, des Papes, mais pas des disciples du Seigneur… Je voudrais que tous, après ces jours de grâce, nous ayons le courage, vraiment le courage, de marcher en présence du Seigneur, avec la Croix du Seigneur ; d’édifier l’Église sur le sang du Seigneur, qui est versé sur la Croix ; et de confesser l’unique gloire : le Christ crucifié. Et ainsi l’Église ira de l’avant. »
Alors oui, comme nous le dit sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face :
« Vivre d’Amour, ce n’est pas sur la terre,
Fixer sa tente au sommet du Thabor/Avec Jésus, c’est gravir le Calvaire/C’est regarder la Croix comme un trésor !
Au Ciel je dois vivre de jouissance/Alors l’épreuve aura fui pour toujours/Mais exilée je veux dans la souffrance/Vivre d’Amour. » strophe 4 de la poésie
Demandons en ce dimanche de veille de rentrée que le Seigneur nous fasse rentrer dans SES pensées, et de lui faire confiance, car Il ne nous trompe pas sur le chemin à prendre, Lui qui sait mieux que nous ce qui est bon pour nous : et nous aurons comme tous les saints et les saintes, la surprise heureuse de voir comment le Seigneur nous donne paix et joie quand nous marchons courageusement à sa suite. Bonne rentrée…