6è dimanche de Pâques, Année A

2018-01-28T20:13:05+01:0026 mai 2017|

Mes chers frères et sœurs ! « Si vous m’aimez ! »  Nous sommes dans la nuit du  Jeudi saint, à la veille de passer de ce monde à son Père. Jésus parle de lui-même dans ce beau testament spirituel, définitif… Comme dans quelques rares endroits de l’évangile, Jésus  se révèle et parle de ses propres émotions. Les apôtres sont abasourdis par ce discours d’adieux, mais ne savent pas vraiment ce qui va se passer. En attestent les questions qu’ils posent, comme celles de Philippe, Thomas qui Lui demandent où il va et le chemin pour le rejoindre. Et pourtant, dans ce discours d’adieu, Jésus condense tout le contenu de sa Passion qui surviendra le lendemain, de son amour qui se donne jusqu’au bout, de l’intensité de sa mission en ce monde.

« Si vous m’aimez !», « Si tu m’aimes ! »  Combien de fois nous utilisons cette  expression, en  s’adressant à nos enfants, notre conjoint, nos parents, nos amis, nos collègues… « Si tu m’aimais, tu ferais ceci  pour me le prouver », «  Si tu m’aimes, tu ne devrais pas faire ceci, pas faire cela…. », expressions que nous utilisons pour éprouver l’amour de l’autre, pour le mettre à l’épreuve, vérifier si l’autre nous aime vraiment comme il le prétend ou comme nous le voudrions. Cette expression a cependant  un visage négatif, un regard de jugement, une mise en cause de l’amour de l’autre. Dans cette expression, nous nous comportons comme des petits dictateurs affectifs, des juges. En elle, nous fixons les conditions que l’autre doit observer pour démontrer et prouver qu’il nous aime. C’est nous qui fixons les règles et paramètres de l’amour… C’est comme si nous savions toujours ce qu’est l’amour vrai…Mais nous savons bien, tous, que dans le domaine de l’amour vrai, comme dans beaucoup d’autres d’ailleurs, nous nous trompons souvent.

Personnellement, j’ai  un peu de mal avec l’usage massif et abusif qui est fait de cette expression. C’est probablement une donnée familiale et culturelle. Je me méfie de l’usage massif de l’expression « je t’aime ». Peut-être, est-ce parce que ma maman ou mon père, depuis mon enfance ne me l’ont pas souvent dit… Et pourtant je sais qu’ils m’aiment profondément, ils me l’ont chaque jour prouvé, même s’ils ne me l’ont pas souvent dit par pudeur culturelle dans l’expression des sentiments et des émotions.

Cette expression en a fait naître d’autres plus fortes encore, mais malheureusement dangereuses dans leur contenu et dans leur usage. Par exemple, « aimer à la folie ». Nous affirmons aimer à la folie une personne. « Aimer au-delà du raisonnable », qui dit tout le contraire de l’amour ; “aimer« , « amour » « adorer« , sont les expressions les plus galvaudés de notre vocabulaire moderne.  Elles veulent dire qu’on aime quelqu’un, et qu’on pose un geste qui signifie dans son contenu tout le contraire de l’amour. Par exemple, le meurtre passionnel. Le meurtrier passionnel est désespéré et affirme avoir tué son amoureuse parce qu’il l’aimait trop! Tuer la personne que nous aimons  parce que nous l’aimons à la folie ! Quel paradoxe ! Amour et folie, summum de l’amour et summum de l’égoïsme qui cohabitent, qui s’embrassent. Les faits divers relatés dans les médias nous en donnent des exemples chaque jour… si cela ne se passe pas  près de nous dans notre propre entourage.

Alors, que veut dire Jésus quand Il s’adresse à ses disciples, à la veille de sa mort en utilisant la même expression : « Si vous m’aimez ! » ?  Il ne demande pas des preuves, ne pose pas des conditions à respecter, comme le ferait un manipulateur ou une manipulatrice. Jésus ne veut pas provoquer la culpabilité chez ses disciples,  contrairement à ce que nous faisons quand nous utilisons cette expression. «Si vous m’aimez, vous observerez mes commandements ». Le premier de tous ses commandements, c’est celui de l’amour : «Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». En effet, Jésus nous dit que nous sommes capables d’aimer en vérité et sans égoïsme qu’à la condition d’accueillir son amour inconditionnel pour nous pauvres pécheurs. Nous devenons «capables d’aimer de cet amour que nous recevons de Dieu  ». Pensez à un enfant qui se sent malaimé, convaincu que personne ne l’aime… Ce dernier aura beaucoup de mal à aimer à son tour. Nous aimons, nous sommes capables d’aimer seulement parce que nous avons reçu de l’amour d’abord.  «Dieu le premier nous a aimés, et nous devons nous aimer les uns les autres… ! » C’est Dieu qui nous rend capables d’aimer les autres. Nous n’aimons pas parce que nous sommes plus sensibles, bons, meilleurs que les autres… Nous aimons parce que nous sommes aimés de Dieu.

Vu dans cette perspective, le commandement de l’amour perd toute sa dimension juridique d’obligation, de devoir, de loi. Ce commandement devient la forme, le modèle de l’amour vrai, le mode concret que nous avons de manifester notre affection aux autres. Si je dis « je t’aime” mais que je te laisse mourir de faim ou de solitude, qui peut croire à cet amour ? A quoi sert un amour qu’on ne cesse de répéter par des formules à longueur de journée mais qui ne se concrétise jamais dans les œuvres ?

Le même soir du Jeudi Saint où Jésus donne ce nouveau commandement à ses disciples, Il leur donne  l’exemple par le lavement des pieds, et leur  parle de sa vie donnée le lendemain jusqu’au bout sur la croix. Et c’est là qu’il nous redit que le modèle de l’amour, c’est lui : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », c’est-à-dire, accueillez mon amour pour être capables de vous aimer personnellement et de vous aimer les uns les autres. Aimer les autres comme Jésus les aime, et s’aimer soi-même comme Jésus nous aime, tel est la dynamique, le cœur de la morale chrétienne. Le cœur du chrétien  devient une vasque remplie de l’amour de Dieu, et cet amour débordant,  irrigue tout ce qui se trouve autour de nous, transmettant ainsi l’amour trinitaire.

Très souvent cependant, nous sommes incapables d’accueillir l’amour de Dieu. Nous  nous en approchons, mais nous refusons de l’accueillir parce que nous nous reprochons quelque chose, nous pensons que nous n’en sommes pas dignes, parce que le monde, comme dit saint Jean, c’est-à-dire, la part obscure de nous-même prend trop de  place et nous accuse,  créant en nous un sentiment de culpabilité qui nous condamne et nous juge. Mais le monde, tel que le conçoit saint Jean,  n’est pas capable de connaître ni l’amour, ni le Christ, ni le Père. Nous sommes parfois remplis de culpabilité, toujours écrasés par le jugement que nous  pensons  venir de Dieu parce que nous le considérons comme un juge, un justicier vengeur. La culpabilité qui nous écrase vient du Malin, pas de Dieu, pas de l’Esprit Saint.

Là aussi, c’est Jésus qui vient à notre secours. Il nous envoie le paraclet. C’est ce qu’il promet à ses disciples. « Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous.» Dans l’antiquité, l’avocat de la défense n’existait pas. L’accusé pouvait, pour prouver son innocence, appeler des témoins. Cependant, si les témoins n’arrivaient pas à prouver son innocence, une personne de grande notoriété ou de grande probité morale, qui jouissait de l’estime de tous, pouvait se mettre à côté de l’accusé, d’où le terme de paraclet, sans rien dire! Et seules l’intégrité et la probité morales de ce paraclet sauvaient l’accusé d’une condamnation. Le Saint Esprit que nous attendons à la Pentecôte, mais que nous avons déjà reçu dans le baptême et la confirmation est ce Défenseur envoyé  par Jésus d’auprès du Père et qui nous guérit de la terrible logique de la culpabilité et du jugement envers nousmême et envers les autres. Cet Esprit nous montre la vérité sur nous même pour nous aider à prendre conscience de nos limites, et nous révéler le grand don que nous sommes ou pouvons devenir pour ceux qui nous entourent.

Cette vérité que le Saint Esprit apporte à notre conscience coupable devient une extraordinaire opportunité qui provoque en nous la conversion. La vérité sur nous-même nous fait fuir notre péché pour entrer dans la Joie de la conversion. Et si nous sommes enracinés dans l’Esprit, nous sommes dans la joie. Le Saint Esprit nous aide à demeurer dans le Christ. Demeurer dans l’amour, ne jamais se décourager de ses péchés, approfondir sa foi et désirer cheminer chaque jour dans le Seigneur, voilà ce que le Saint Esprit provoque en nous par ses différents dons. Il nous aide ainsi à rendre compte de l’espérance chrétienne qui est en nous, à être positifs parce qu’il nous rend aimables et aimants parce que aimés de Dieu avant toute chose. « Seigneur, envoie sur chacun de nous le Défenseur, ton Esprit de vérité qui est notre avocat, celui qui nous fait découvrir ton Amour inconditionnel, pour ensuite en témoigner à notre tour. Amen »

Ancien curé de l'ensemble paroissial