La fête d’aujourd’hui, qui clôt le temps de Noël, nous offre l’opportunité de nous rendre, comme des pèlerins en esprit, sur les rives du Jourdain pour participer à un mystérieux événement : le Baptême de Jésus par Jean-Baptiste. Nous avons écouté le récit évangélique : « Or il advint […] au moment où Jésus, baptisé lui aussi, se trouvait en prière, que le ciel s’ouvrit, et l’Esprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et une voix partit du ciel: « Tu es mon fils; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » » (Lc 3, 21, 22).
Jésus se manifeste donc, comme le « Christ », le fils unique, objet de la prédilection du Père. C’est ainsi qu’Il commence sa vie publique. Cette « manifestation » du Seigneur fait suite à celle de la Nuit Sainte, dans l’humilité de la crèche et à la rencontre de dimanche dernier avec les rois Mages, qui adorent chez l’Enfant, le Roi pré-annoncé par les antiques Écritures.
C’est bien de manifestation divine dont il est question par trois fois dans la seconde lecture : « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. Elle nous apprend à renoncer à l’impiété et les convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété, attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ…Lorsque Dieu, notre sauveur, a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes, il nous a sauvés…
La gloire de Dieu s’est manifestée…mais nous attendons la manifestation de la gloire de Dieu : que signifie cette apparente contradiction ? Le mot « manifestation » traduit le grec Ἐπιφάνια : épiphanie. Ainsi l’Épiphanie est la fête qui célèbre les manifestations de Dieu aux hommes. Le 6 janvier (ou le dimanche le plus proche) on fête les trois grandes manifestations de Jésus-Christ : L’adoration des Mages, le baptême du Christ au Jourdain et le premier miracle de Jésus aux noces de Cana.
La manifestation aux mages signifie la manifestation aux païens. Un auteur a parlé de la Pentecôte de la Nativité, car ces mages annoncent, ce qui se réalisera à la Pentecôte, l’ouverture de tous les peuples à la foi en Jésus.
Les Pères de l’Église ont également vu, nous dit Benoît XVI, dans ce singulier épisode raconté par saint Matthieu une sorte de « révolution » cosmologique, causée par l’entrée du Fils de Dieu dans le monde. Par exemple, saint Jean Chrysostome écrit : « Lorsque l’étoile parvint au-dessus de l’enfant, elle s’arrêta et cela ne pouvait être que le fait d’une puissance que les astres n’ont pas : c’est-à-dire, d’abord se cacher, puis apparaître à nouveau, et enfin, s’arrêter » (Homélie sur l’Évangile de Matthieu, 7, 3). Saint Grégoire de Nazianze affirme que la naissance du Christ imprima aux astres de nouvelles orbites (cf. Poèmes dogmatiques, v, 53-64 : pg 37, 428-429). Ce qu’il faut bien sûr entendre au sens symbolique et théologique. En effet, alors que la théologie païenne divinisait les éléments du cosmos, la foi chrétienne, en conduisant à son achèvement la révélation biblique, contemple un unique Dieu, Créateur et Seigneur de tout l’univers. L’amour divin, incarné dans le Christ, est la loi fondamentale et universelle de la création. Cela doit en revanche être entendu non au sens poétique, mais réel. C’est ainsi que l’entendait du reste Dante lui-même, lorsque, dans le vers sublime qui conclut « le Paradis » et toute la Divine Comédie, il définit Dieu comme « l’amor che move il sole e l’altre stelle », l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles (Paradis, XXXIII, 145). Cela signifie que les étoiles, les planètes, l’univers tout entier ne sont pas gouvernés par une force aveugle, ils n’obéissent pas aux dynamiques de la seule matière. Ce ne sont donc pas les éléments cosmiques qui doivent être divinisés, mais, bien au contraire, en toute chose et au-dessus de toute chose, il y a une volonté personnelle, l’Esprit de Dieu, qui dans le Christ s’est révélé comme Amour (cf. Enc. Spe Salvi , n. 5)
Le récit du baptême de Jésus exprime une manifestation divine assez différente de la manifestation aux mages. C’est une « théophanie » trinitaire, c’est à dire que les trois personnes de la Sainte Trinité sont manifestées. C’est une manifestation du mystère de Dieu, manifestation plus spirituelle, mais moins universelle. La manifestation du baptême du Christ annonce la vie future d’enfants de Dieu, divinisés dans le Fils, fils et filles dans le Fils. L’Esprit sous une apparence corporelle repose sur le corps du Christ quand le corps du Christ est immergé dans l’eau du Jourdain. Comme l’écrit Saint Jean-Paul II, dans une de ses catéchèses sur le corps, « dans sa masculinité et dans sa féminité, le corps est, « depuis l’origine », appelé à devenir la manifestation de l’esprit. » et aussi : « Selon les paroles de l’Apôtre Paul, le corps humain se révèle dans la résurrection comme incorruptible, glorieux, plein de force, spirituel. La résurrection n’est donc pas seulement une manifestation de la vie qui triomphe de la mort – une sorte de retour final à l’arbre de Vie dont l’homme a été éloigné à cause du péché originel -; elle est aussi une révélation des ultimes destins de l’homme dans toute la plénitude de sa nature psychosomatique et de sa subjectivité personnelle. »
A Cana, il est aussi question de la manifestation de Dieu : Tel fut, à Cana de Galilée, le commencement des signes de Jésus. Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. (Jean 2) A cana, le Christ se manifeste comme époux de l’humanité car c’est lui qui apporte le vin des noces. La manifestation à Cana annonce l’époux de l’humanité : heureux les invités au repas des noces de l’Agneau. Le plan salvifique de Dieu unit le mariage, en tant que la plus antique révélation et manifestation de ce plan dans le monde créé, à la révélation et manifestation définitive, la révélation, donc, que « le Christ a aimé l’Église et s’est donné lui-même pour elle » (Ep 5,25) conférant à son amour nature et signification nuptiales.
Ces trois manifestations historiques nous conduisent à la vie sacramentelle, notre vie actuelle : baptême (à la suite du baptême du Christ, Eucharistie (le vin nouveau apporté par Jésus à Cana), confirmation (venue de l’Esprit Saint qui révèle Jésus à tous les peuples) ; et notre vie sacramentelle nous conduit vers la plénitude de ces manifestations, notre vie future : la participation à la vie divine comme fils et filles de Dieu, , la communion à l’amour éternel, l’Église du Ciel, rassemblement de tous peuples.
Alors vivons au présent, dans l’attente de la bienheureuse espérance, car le Seigneur en cette nouvelle année va se manifester à nous. Comment ? A nous de l’écouter, de le chercher, de l’aimer, et de le servir dans nos frères. Amen.