Homélie de Père Pascal – 1er dimanche de Carême (06/03/22) « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna »

2022-03-13T12:57:10+01:0013 mars 2022|

Cette phrase de l’évangile du premier dimanche de carême est particulièrement instructive puisqu’elle nous indique que les tentations auxquelles nous sommes affrontées, aussi diverses soient-elle – tout le monde n’a pas une envie pressente de chocolatine ou la tentation de tuer son voisin – toutes les tentations donc se résument aux trois mensonges que le diable utilise pour attirer Jésus dans un piège. En contemplant et écoutant Jésus « tenté par le diable », nous trouvons un trésor spirituel pour vivre ce carême et parvenir à Pâques en vainqueur du combat spirituel. Avec cet évangile, mais aussi les paroles d’autres pages de la Bible nous avons :

le dévoilement de la tactique du diable : tactique fondée sur le mensonge et un mensonge d’autant plus efficace qu’il utilise la vérité en citant la Parole de Dieu. Nous sommes tentés sur nos besoins fondamentaux et légitimes : avoir, pouvoir et savoir. Notre humanité intégrale, corps , âme, esprit, peut être prisonnière de ses désirs et un carême vécu avec l’Église et ses sacrements, permet « que votre esprit, votre âme et votre corps, soient tout entiers gardés sans reproche pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ. » (1th 5, 23)

la réponse de Jésus : simple et cinglante, elle utilise aussi la Bible mais pour nous « conduire dans la vérité tout entière » (Jn 16, 13)

notre réponse pour gagner avec Jésus : elle est une réponse personnelle, adaptée à notre vie concrète. Personnelle mais pas solitaire. En communion avec mes frères et sœurs du monde entier, aidé par la liturgie de l’Église et la prière des saints, je peux mettre en œuvre, humblement les armes décrites par Jésus le Mercredi des Cendres : Prière, Aumône et Jeûne qu’on peut énumérer avec trois P : Prière, Partage et Privation (ou Pénitence). Réponse humble, qui accepte d’avance les échecs et les chutes à l’image des apôtres à qui le coach Jésus fera tour à tour encouragements et reproches pour mieux les conduire à la victoire. Réponse personnelle mais puissante puisque comme Jésus « après son baptême », je suis « rempli d’Esprit Saint. » Autrement dit, nous n’avons rien à envier à Jésus, Marie et tous les saints. Mensonge de croire que nous n’aurions qu’une dose incomplète ou périmée d’esprit saint : je suis « rempli d’Esprit Saint » grâce à mon baptême et aux sacrements qui mettent à jour cet infaillible vaccin spirituel du baptême.

1ère tentation : le corps

la tactique du diable : « Jésus eut faim ». Le diable utilise nos appels du corps pour nous faire perdre la raison. « ordonne à cette pierre de devenir du pain. » Qui donc va ordonner ?: le corps, le diable ?

Aujourd’hui : Notre corps a faim de nourritures et plaisirs aisément accessibles dans un monde riche et civilisé : les images, les films, les musiques, les jeux, les « tchats » (conversations), la mode, les achats en ligne se sont ajoutés ou plutôt, ont multipliés les anciennes tentations désormais accessibles toujours et partout sur nos écrans.

la réponse de Jésus : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain. » C’est l’homme qui doit décider et non son corps ou le diable. Et le corps doit suivre l’esprit qui a soif de Vérité car « L homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (Mt 4, 4). Jésus est lui-même la réponse à notre faim : « Je suis le pain de vie. » Parole et Eucharistie : la Vierge Marie a mis en pratique ces deux réponses de Jésus à notre faim : lorsque le Verbe a pris chair en elle.

ma réponse pour gagner avec Jésus : les privations qui libèrent. le carême me donne une occasion en or de vérifier que je ne suis esclave ni de mon corps ni du diable. Et si, sur tel ou tel point, j’ai perdu le contrôle, je regarde ce qui « est écrit » dans la Bible et je cherche les moyens de retrouver la liberté. Comme les catéchumènes, écrit notre évêque Guy « que les baptisés eux-aussi laissent la Parole de Dieu purifier leur cœur. » Quelle ne fut pas ma joie lorsque, à l’Appel décisif des catéchumènes à Pibrac, ce premier dimanche de carême, au cours du défilé des futurs baptisés devant notre évêque, quand vint le tour de mon filleul, le lycéen Alexandre de dire son mot à Mgr de Kérimel, alors que je posais la main sur son épaule, je l’entendis, sans délayage, aller à l’essentiel : « Mgr, la Parole de Dieu guide ma vie depuis plusieurs années, merci de prier pour que je continue à me laisser guider par elle. »

– Alors que certains efforts irréalistes conduisent à l ‘échec et au désespoir, les petites privations, que pratiquaient Thérèse de Lisieux et tant d’autres saints, sont un moyen de regagner progressivement ma liberté. Les petites réussites préparent les grandes victoires. Confession et eucharistie, prière des psaumes et lectures bibliques m’assisteront dans ce combat. Sachant que certains jeûnes, certaines privations me sont imposés : ces petites et parfois grandes contrariétés que je vous invite à accompagner de cette traditionnelle prière, parfois faite en serrant les dents : « Seigneur, je te l’offre, pour ma conversion et celles des autres pêcheurs. » Aux étudiants réunis pour les Cendres, notre évêque pointait le risque d’un carême centré sur notre petite personne. Il s’agit certes de me convertir mais c’est l’amour du prochain qui en sera le meilleur carburant comme nous en avertit le Seigneur : « Le jeûne qui me plaît: faire tomber les chaînes injustes… rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs, partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable. » (Is 58, 6-7)

2ème tentation : l’âme

la tactique du diable : « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes…, si tu te prosternes devant moi. » Après la tentation du corps, vient celle de l’âme, la tentation psychologique d’être rassuré par le pouvoir et la gloire. Le diable est tellement ivre de sa puissance qu’il veut faire oublier qu’il est créature et non créateur. « As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? » (1Co 4, 7)

Aujourd’hui : comme hier Dominants : Tentation pour certains de dominer les autres par leur statut social, leur richesse ou leur talent. Illusion diabolique de croire que nous sommes généreux en donnant des miettes de richesses et de pouvoir qui ne nous appartiennent pas : « Le monde et sa richesse m’appartiennent. » dit Dieu (Ps 49, 12) Dominés : Tentation pour la majorité de se laisser dominer en se contentant des flatteries ou des oboles des dominants. Cela commence dès la cour de l’école et les parents avisés vérifient que les relations de leurs enfants ne tombent pas dans ces « rapports de dominations », terme de sociologues contemporains désignant cette antique tentation que le Christ a voulu éprouver avec nous. C’est aussi la tentation de certaines personnes maltraitées de rester avec leur bourreau à cause de la protection ou la subsistance qu’il leur accorde. Piège dont sortent ces victimes d!abus ou leurs proches qui ont le courage de prendre la parole pour dénoncer l’abuseur.

La Gloire promise par le diable désigne, entre autres, ce besoin de notre âme d’être aimée et reconnue par les autres. Après la tentation du corps, tournée vers moi-même vient la tentation tournée vers les autres mais faussement altruiste, tentation d’une relation faussée aux autres ; relation finalement égoïste aussi comme on le voit dans ces amitiés ou ces passions amoureuses qui se finissent mal parce que chacun recherchait d’abord son bonheur individuel. Étoiles : Certains vont rechercher à être connus et aimés pour leur talent sportif ou artistique, politique ou économique cette gloire qui semble procurer amour, argent et liberté, cette gloire des people, des célébrités, est passagère. Sic transit gloria mundi. À trop rechercher fortune, gloire et pouvoir, beaucoup passeront à côté de leur vraie leur vraie contribution à la vie de ce monde. Fans : Nous avons besoin de héros à admirer et imiter. Combien de personnes célèbres ont inspiré, stimulés voire même accompagnés l’émergence et la croissance de nouveaux talents. Mais combien, trop, de fans qui n’ont pas su écrire eux-mêmes le livre de leur vie et sont restés hypnotisés, paralysés dans la contemplation de leurs idoles comme le décrivait avec tendresse et tristesse Jean-Jacques Goldman : elle vit sa vie par procuration devant son poste de télévision.

la réponse de Jésus : « Il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. » Une fois de plus, Jésus se réfère à la Bible, le code de conduite parfait. Et le premier article de cette « Loi parfaite qui redonne vie » est et restera d’adorer Dieu seul, de ne chercher qu’auprès de lui la reconnaissance et l’amour parfaits. Et de trouver dans la Trinité le fondement de tout relation juste aux autres. Pour passer d’une relation dominant/dominé aux relations justes, d’amour paternel, filial et fraternel. UN ensemble de relation qui permet à chacun de trouver sa place en ce monde et, mieux encore, à chacun d’aider les plus faibles à trouver leur place.

ma réponse pour gagner avec Jésus : la prière ou tout quitter pour Dieu « Devant Dieu seul tu te prosterneras. » Dans le cœur à cœur avec Dieu, dans l’oraison, dans l’adoration eucharistique, c’est à dire un temps choisi et exclusivement consacré à Dieu, je ferai fuir le diable qui est infiniment plus fort que nous quand nous sommes seuls mais qui n’est que poussière devant son Créateur. Cet ange puissant a été définitivement vaincu par l’offrande que fit un homme de son corps, Jésus notre sauveur sur la Croix. Adoration de Dieu le Père dans le silence et l’écoute de sa Parole.

Adoration et écoute de Jésus qui nous parle dans la Bible, et nous parle aussi par nos frères. « Qui vous écoute m’écoute. » Lc 10 , 16. Adoration et invocation de l’Esprit-Saint consolateur qui nous défend et nous « conduit dans la vérité tout entière ». Jn 16, 13 L’adoration exclusive de Dieu est le moyen de ne pas sombrer dans l’illusion que le bonheur viendrait de nos richesses, nos réussites, notre statut social et même de l’affection de nos proches. Ces biens matériels et affectifs sont de bons serviteurs mais de mauvais maîtres quand nous en devenons dépendants. En plus des activités où nous invitons Dieu (bénédiction de repas, chapelet en voiture, émission religieuse en fond sonore), nous arrêterons tout, pour nous consacrer à Dieu chaque jour. Ce peut être partout, dans une église, dans la nature, dans ma chambre… En commençant par un temps limité mais fidèle car « le juste vit de la fidélité ». (Ha 2, 4)

3ème tentation : l’esprit

le dévoilement de la tactique du diable : « Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Après avoir utilisé le langage du corps avec la faim, le langage de l’âme avec pouvoir et gloire, le diable utilise la Parole de Dieu, langage supérieur, seul capable de combler notre esprit. Mais une fois de plus, celui dont Jésus dit qu’il est « menteur et père du mensonge » (Jn 8, 44) va utiliser ce qui est bon pour nous conduire au malheur. Il utilise la Parole de Vie pour précipiter Jésus dans la mort : « jette-toi en bas ». Jésus nous avertit : « Depuis le commencement, il a été un meurtrier. » (Jn 8, 44)

Aujourd’hui : comme hier L’esprit humain désire intensément connaître le meilleur, l’origine et la fin, le secret de la vie. Il a un désir profond, même inconsciemment, de connaître Dieu et de l’aimer, de se laisser connaître et aimer de Dieu. « Jette-toi en bas » est une manière pour le diable de détourner cette aspiration profonde. Car la curiosité pour ce qui est immatériel, invisible, au-delà de la mort peut conduire à des pratiques dangereuses : spiritisme, voyance, cartes , pendules, participation à des sectes ou franc-maçonneries qui promettent de faire partie des « initiés », ceux qui savent, qui ont accès à la vérité cachée aux « profanes », aux simples mortels. Le XIXè siècle a vu plusieurs adeptes de ces pratiques finit à l’asile des fous qui n’était pas encore appelé hôpital psychiatrique. Et les suicides sont nombreux chez les esprits qui pensent s’emparer de secrets spirituels mais deviennent au contraire le jouet des forces qui les dominent. De manière plus banale mais hélas mortelles aussi, les « conduites à risque » de nos jeunes, mais aussi d’adultes au comportements adolescents, peuvent être aussi le détournement de cette aspiration supérieure. Les désirs d’être le meilleur, de se dépasser, d’être un héros, l’envie de prouver sa maîtrise de la nature et des machines se révèlent mortels lorsqu’on écoute ni la nature, ni l’expérience des anciens, ni la sagesse des Écritures. Et pour certains, la fascination d’approcher la mort et son secret peut provoquer une excitation croissante jusqu’à en perdre l’instinct de survie qui a sauvé tant de vies en danger. « Jette-toi en bas » est aussi la tentation du désespéré qui ne trouve plus de goût à la vie et plus de raison de se battre pour une vie d’échecs et de souffrance.

la réponse de Jésus : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Mettre Dieu à l’épreuve ce peut être exiger de Lui un miracle et faire donc de Dieu l’instrument de nos caprices ou nos incompréhensions. C’est un manque de foi : je me focalise sur ce que je ressens, et souffre parfois violemment au point de me replier sur ma situation et ne plus croire ce que je ne vois pas. C’est un manque d’espérance : replié sur mon présent, je refuse la Promesse divine : « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés. »

C’est un manque de charité : concentré sur un le seul aspect dramatique ma vie, je me ferme à l’amour de Dieu et du prochain et même à l’amour de moi-même. Car mettre Dieu à l’épreuve ce peut être aussi le désespoir qui replie sur soi, se ferme peu à peu à l’aide des autres et conduit certains au suicide. « Jette-toi en bas. » apparaît alors comme la promesse d’être libéré des angoisses, de la souffrance ou de la honte. L’Église ayant heureusement renoncé à condamner ceux qui se sont donnés la mort ; elle prie pour eux et les confie au seul jugement de Dieu et à sa miséricorde infinie.

Ma réponse pour gagner avec Jésus : je descends de ma planète et partage la vie de mon prochain. La réponse à ces tentations profondément spirituelles et existentielles utilisera toutes les zones de notre être :

– Physique : la respiration, la marche, l’exercice physique, le contact avec la nature peuvent apaiser les emballements de mon esprit. – Psychologique : la relation aux animaux et aux hommes, et particulièrement l’aide des plus pauvres d’entre eux, vont me sortir des ambitions égoïstes ou des repliements sur mon malheur. S’intéresser à un plus malheureux que moi, fraterniser avec lui ou l’aider ou même se faire aider humblement par lui, font retrouver le bon sens, la joie, l’espoir.

Spirituelle : lire les psaumes qui expriment toute la palette des sentiments humains, chanter des chants de louange, goûter au silence de l’adoration, méditer la Parole de Dieu. Recevoir du prêtre le Pardon, se laisser porter par la prière de l’Église et de mes frères, à la messe, au chapelet etc. Tout cela peut apaiser les tourments de l’esprit.

N’oublions pas que Jésus a vécu notre vie humaine au point de dire un jour : « mon âme est triste à en mourir » (Mt 26, 38). Jésus a, sans pécher, connu notre faiblesse humaine au point que, dans cette même nuit de son agonie au Jardin des Oliviers, il eut besoin d’un secours miraculeux : « Alors, du ciel, lui apparut un ange qui le réconfortait. » (Lc 22, 43)

Je peux confier à Jésus, toutes les tentations qui assaillent mon corps, mon âme et mon esprit. Jésus a connu « toutes les formes de tentations » et a fait fuir le démon par la seule force des paroles de la Bible qui lui ont servi de réponse.

Que nos privations, nos prières et nos partages restent nourris de la Parole de Dieu et du Pain de Vie pour suivre Jésus et participer à sa victoire sur toutes les tentations., sa victoire que nous célébrerons à Pâques