Dans cette Parabole propre à saint Matthieu, le Père s’adresse de la même façon à ses deux enfants. Telle est la volonté du Père, et celui qui a mal commencé par son refus inaugural, a bien terminé puisqu’il a fini par aller travailler à la vigne. A l’inverse, celui qui a dit oui tout de suite a calé en chemin et finalement n’est pas arrivé à travailler à la vigne de son Père. Monsieur de la Fontaine nous a donné un équivalent de cette parabole quand il a écrit sa fable du lièvre et de la tortue. « Rien ne sert de courir il faut partir à point : Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage. Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point Sitôt que moi ce but. » le lièvre était trop sûr de lui quand il a accepté le défi, et il n’est pas parvenu au but avant celle dont les moyens étaient plus modestes mais qui s’est hâté avec lenteur.
Nous le savons, Jésus dans cette parabole, nous parle d’abord du peuple juif, de ce fils aimé qui a dit oui d’abord à la volonté de Dieu, mais qui a refusé cette volonté de Dieu en rejetant son Fils le Messie d’Israël tandis que les peuples païens ( appelé dans la Bible les Gentils : les nations non juives ) ont accueilli le salut en Jésus après avoir vécu loin de Dieu. Saint Jean Chrysostome le résumait ainsi : « ce qui se passe ici à l’égard de ces deux enfants est la figure de ce qui devait arriver à ces deux peuples. Car les gentils, qui n’avaient point promis à Dieu l’obéissance puisqu’ils n’avaient pas même reçu de loi, n’ont pas laissé de lui obéir effectivement, et avec beaucoup de zèle ; et les juifs au contraire, après avoir promis par un vœu solennel «de faire tout ce que le Seigneur leur dirait (Ex 19,8 24,3)», n’ont point fait ce qu’il leur a commandé. »
Mais cette parabole n’est pas qu’un résumé de l’histoire du salut : il est l’enjeu de notre propre liberté face aux appels de Dieu.
Deux histoires viennent à ma mémoire, qui m’ont bouleversé : une ancienne et l’autre toute récente.
La première est celle d’un jeune homme catholique Jo Holagray, qui s’intéresse dans sa paroisse à la conférence saint Vincent de Paul : il suit régulièrement les réunions et un jour le responsable âgé lui propose de prendre sa suite. Il réfléchit et lui dit non. Plusieurs mois s’écoulent et le responsable lui renouvelle sa demande. Il dit non une seconde fois prétextant sans doute qu’il n’a pas le temps ou qu’il est trop jeune. Une troisième fois, le responsable le sollicite à nouveau. Et dans la nuit il meurt. Cette fois Jo comprend que c’est la volonté de Dieu de répondre oui à cette mission : et c’est jusqu’à plus de 95 ans qu’il a été en service, sillonnant pour le Seigneur Paris et sa banlieue pour rejoindre les plus démunis en les aidant dans leurs démarches administratives et leurs soucis de santé ou d’argent. Il a bien laissé sa responsabilité de la conférence saint Vincent de Paul à Bercy quand l’âge de 80 ans est arrivé mais il a été sollicité dans la paroisse voisine pour remonter une conférence moribonde, et en un an, il y avait plus de 25 membres… Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.
La seconde histoire est celle d’une jeune femme ayant un problème de santé très sérieux, qui vient cette année au Pèlerinage diocésain à Lourdes. Elle voudrait bien elle, servir comme les hospitaliers, mais sa santé ne lui permet pas ; elle en a un tel désir, revêtir la tunique des hospitaliers, c’est son rêve et sa souffrance…mais ce n’est pas possible. Humainement, mais rien n’est impossible à Dieu n’est-ce pas ? Un matin du pèlerinage, elle trouve sur son lit la tunique d’un hospitalier. Elle ne sait pas qui lui a posé gentiment sa tunique mais toute heureuse elle va la porter fièrement toute la matinée. Jusqu’à ce que l’hospitalière à qui elle appartenait la reprenne. Sauf qu’elle l’avait cherché toute la matinée et qu’elle ne l’avait pas déposé dans la chambre de celle qui voulait servir : le Seigneur, sans doute par la médiation des anges, lui avait fait parvenir cet objet : par ton désir immense, tu veux aussi servir : toi aussi mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.
Il y a place pour chacun dans le travail de la vigne : cette jeune femme par son désir me fait penser à sainte Thérèse que l’on fête aujourd’hui le premier octobre : par ses désirs brûlants d’amour, Dieu a fait d’elle dans son Carmel une sainte patronne des missions : sans pouvoir se déplacer, elle a travaillé à la vigne par son amour, son offrande comme victime d’holocauste à l’amour miséricordieux du Père.
Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.