Homélie de père Pierre – 2ème dimanche de Carême C (16/03/25) « marcher à petits pas vers l’Espérance ».

2025-03-16T16:55:21+01:0016 mars 2025|

En ce deuxième dimanche de carême, nous entendons chaque année le récit de la transfiguration. 

Cette année, il est précédé du récit d’Abram et de saint Paul aux Philippiens : ce sont trois paroles qui nous introduisent dans l’espérance d’une promesse et à marcher à petits pas dans l’espérance.

La promesse d’une descendance et d’une terre pour cette descendance à Abraham

« Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » Et il déclara : « Telle sera ta descendance ! »

Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes :

« À ta descendance je donne le pays que voici, depuis le Torrent d’Égypte jusqu’au Grand Fleuve, l’Euphrate. »

Pour qu’il y ait promesse, il faut qu’il y ait deux interlocuteurs : le locuteur de la promesse et le récepteur de celle-ci. Entre ces deux se joue une histoire que l’expression de la promesse et son acceptation vont inaugurer. Car il ne suffit pas qu’une promesse soit émise, il faut qu’elle soit aussi accueillie par celui ou celle qui en est destinataire. La promesse — comme son degré supérieur : le serment — suppose deux libertés. C’est sur ce poids de la parole engagée qu’une alliance peut se fonder. Avec la figure d’Abraham s’inaugure dans l’histoire ce dialogue incroyable : Dieu se manifeste dans une parole qui promet, et en Abraham se lisent les effets de cette parole. 

Comme dit Saint Paul  : espérant contre toute espérance Abraham a cru en la promesse de Dieu. En reliant l’aventure biblique d’Abraham à celle de Jésus, l’Epître aux Hébreux franchit une étape supplémentaire en affirmant : « Gardons indéfectible la confession de l’espérance, car fidèle est Celui qui promet » (10,23). Dieu tient ses promesses et ce que Dieu promet est énorme ! Et cela concerne la vie terrestre : l’espérance d’Abraham est pour cette vie. Jésus va aussi faire des promesses à ses disciples : en ce temps de carême, Jésus promet une récompense à ceux qui jeûnent, prient et partagent dans le secret. Mais il ne nous dit pas la nature de cette récompense ni le moment de la récompense : sur terre ou au Ciel. Par contre à Pierre qui lui dit : voici que nous avons tout quitté pour te suivre, la promesse est concrète : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle.(Marc 10, 29)

La récompense que Jésus promet à Pierre est sur terre et au Ciel.

Notre pas d’espérance

Sur les pas d’Abraham et de Pierre, comptons sur la fidélité de Dieu qui peut nous donner sur cette terre ce qui est inespéré à vue humaine. la fête de saint Joseph cette semaine est l’occasion de trouver en saint Joseph un intercesseur puissant pour les choses matérielles de cette vie : travail, maison, enfant désiré : telles sont les demandes qu’exauce souvent saint Joseph.

La promesse de la citoyenneté du Ciel avec un corps glorieux nous dit saint Paul

nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur

le Seigneur Jésus Christ,   lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux,” 

En général, on entend la formule comme l’espérance de « déménager » aux cieux dans la vie d’après. Seulement, est-ce vraiment cela que l’apôtre Paul avait en tête lorsqu’il a écrit aux Philippiens  ? La référence de Paul et de ses lecteurs, c’est la citoyenneté romaine. Depuis 42 av. J.‑C. en effet, Philippes est une colonie romaine, fière de sa culture (Ac 16.21) et dont le latin est la langue courante bien que la ville soit située dans une région grecque. De nombreux vétérans des légions romaines vivent dans cette colonie depuis sa conquête par l’empereur Auguste, et beaucoup d’entre eux avaient dû recevoir la citoyenneté romaine en guise de remerciement pour services rendus à l’Empire. On comprend alors que Paul parle de citoyenneté céleste à cette Église et non pas à une autre. Or la citoyenneté romaine ne signifiait pas, pour les citoyens résidents à Philippes, l’espoir d’aller un jour habiter à Rome. Comme le résume bien N.T. Wright, « la question à propos de la citoyenneté est une question de statut et d’allégeance, pas une question de lieu de résidence. » Si l’on applique ce modèle à la notion de citoyenneté céleste, on commence à comprendre que Paul envisage l’Église de Philippes comme une colonie des cieux. Il s’agit pour ses lecteurs chrétiens de vivre sur terre selon les principes du Royaume : Ce rapport au monde est donc strictement opposé à celui d’une fuite du monde (impliqué par l’attente de « déménager » aux cieux). Les chrétiens sont au contraire invités à investir pleinement leurs vies ici-bas pour témoigner d’un « ailleurs », les cieux que les croyants rejoindront un jour : la citoyenneté du ciel correspond d’une certaine façon aux étoiles d’Abram: la descendance d’Abraham sont les croyants nous dit saint Paul en Galates 3, 29  : Et si vous appartenez au Christ, vous êtes de la descendance d’Abraham : vous êtes héritiers selon la promesse. et puisque le Christ est ressuscité avec son corps, la promesse de la citoyenneté du Ciel est d’avoir aussi un corps glorifié comme le Christ. 

Notre pas dans l’espérance

Ainsi, mes frères bien-aimés pour qui j’ai tant d’affection,
vous, ma joie et ma couronne,
tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.

La promesse de la gloire et de la communion des saints

Les apôtres choisis assistent à une extase de Jésus où celui-ci apparaît tout rayonnant.

Ils ont aussi la vision de Moïse et Elie  : Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui :
c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ainsi la loi et les prophètes rendent témoignage à Jésus. 

La Transfiguration nous révèle aussi, comme le révèlera aussi Jésus à propos de l’expression “Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob” que  Dieu est le Dieu des vivants et non des morts. Il y a  une participation anticipée à la gloire de Dieu à laquelle Dieu associe les hommes et les femmes qui l’ont suivi par la foi ou par leur conscience qui leur enjoignait de faire le bien et de vivre dans la vérité.

Comment les apôtres ont-ils pu reconnaître Elie et Moïse qu’ils n’ont jamais vu ? Seul l’Esprit de Dieu peut réaliser cette connaissance : je pense à cet épisode de la vie de sainte Thérèse de Lisieux : Thérèse fait un rêve qui constitue un véritable rayon de lumière dans la nuit de la foi dans laquelle elle se trouve plongée depuis plusieurs mois : elle est en effet assaillie par des doutes lancinants sur l’existence du Ciel. Elle sait par ailleurs que sa mort est prochaine. Malgré tout cela, elle reçoit, à travers ce rêve, la conviction que le Bon Dieu est content d’elle. Elle n’a rien à ajouter à ses pauvres actions malgré l’écart immense qu’il y a entre ses désirs infinis et ce qu’elle réalise. L’une des questions qu’elle pose dans ce rêve porte en effet sur l’authenticité de sa petite voie. La réponse est d’autant plus importante que Thérèse reçoit aussi dans ce rêve la confirmation de sa mort prochaine : « Aux premières lueurs de l’aurore, je me trouvai (en rêve) dans une sorte de galerie…tout à coup sans avoir vu comment elles étaient entrées, j’aperçus trois carmélites revêtues de leurs manteaux et grands voiles, mais ce que je compris clairement, c’est qu’elles venaient du Ciel. Au fond de mon cœur, je m’écriai Ah ! que je serais heureuse de voir le visage d’une de ces carmélites ! Alors comme si ma prière avait été entendue par elle, la plus grande des saintes s’avança vers moi … sans aucune hésitation, je reconnus la vénérable Mère Anne de Jésus, la fondatrice du Carmel en France. Son visage était beau, d’une beauté immatérielle, aucun rayon ne s’en échappait et cependant malgré le voile qui nous enveloppait toutes les deux, je voyais son céleste visage éclairé d’une lumière ineffablement douce, lumière qu’il ne recevait pas mais qu’il produisait de lui-même…O Jésus ! l’orage alors ne grondait pas, le ciel était calme et serein.., je croyais, je sentais qu’il y a un Ciel et que ce Ciel est peuplé d’âmes qui me chérissent, qui me regardent comme leur enfant…

Notre pas dans l’espérance: 

J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
espère le Seigneur. »

En conclusion, relisons le troisième point du message du Pape François pour le carême :

“Faisons ce chemin ensemble dans l’espérance d’une promesse. Que l’ espérance qui ne déçoit pas (cf. Rm 5, 5), le message central du Jubilé, soit pour nous l’horizon du chemin de Carême vers la victoire de Pâques. Comme nous l’a enseigné le Pape Benoît XVI dans l’encyclique Spe salvi : « L’être humain a besoin de l’amour inconditionnel. Il a besoin de la certitude qui lui fait dire : “Ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le présent ni l’avenir, ni les astres, ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus-Christ” (Rm 8, 38-39) ». Jésus, notre amour et notre espérance, est ressuscité, il vit et règne glorieusement. La mort a été transformée en victoire, et c’est là que réside la foi et la grande espérance des chrétiens : la résurrection du Christ !

Et voici le troisième appel à la conversion : celui de l’espérance, de la confiance en Dieu et en sa grande promesse, la vie éternelle. Nous devons nous demander : ai-je la conviction que Dieu pardonne mes péchés ? Ou bien est-ce que j’agis comme si je pouvais me sauver moi-même ? Est-ce que j’aspire au salut et est-ce que j’invoque l’aide de Dieu pour l’obtenir ? Est-ce que je vis concrètement l’espérance qui m’aide à lire les événements de l’histoire et qui me pousse à m’engager pour la justice, la fraternité, le soin de la maison commune, en veillant à ce que personne ne soit laissé pour compte ?”