La prière d’ouverture de ce troisième dimanche de l’Avent commence ainsi : « Tu le vois Seigneur, ton peuple se prépare à célébrer la naissance de ton Fils. Dirige notre joie vers la joie d’un si grand mystère. »
Pour les supporters de l’équipe de France, la joie est dirigée vers le Qatar plutôt que vers Bethléem. Mais pour nous, où se dirige notre joie en ce dimanche que la tradition appelle Dimanche de Gaude te, Dimanche de la joie ? C’est encore Jean-Baptiste qui nous aide à nous préparer à cette joie de Celui qui vient. Pourtant, quel contraste entre le 2e dimanche et le 3e dimanche de l’Avent ! Souvenons-nous de Jean Baptiste appelant de manière tonitruante à la conversion : « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? » Et voici aujourd’hui le prophète semble perdre son assurance et en vient à douter de l’identité de Jésus : Es-tu Celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?
Il semble que le Baptiste vive le même chemin spirituel que le prophète Élie, puissant et sûr de lui sur le sommet du Carmel face aux 450 prophètes païens et qui s’écroule et demande à mourir quand il est poursuivi par la reine Jézabel (1Rois 18-19) : c’est la désillusion qui conduit à une sorte de dépression ou de nuit spirituelle. Mais d’où vient ce doute ? Il vient du décalage entre le Messie que Jean attendait et imaginait et ce que Jésus est. Dimanche dernier Jean annonçait le Messie comme un juge terrible qui nettoie son aire à battre le blé, c’est-à-dire qui va juger de manière rigoureuse en séparant les bons des méchants. Le Baptiste s’appuyait sur plusieurs textes des prophètes évoquant le jugement à travers des images agricoles. Il attendait selon ses mots « celui qui est plus fort que lui ». Mais la puissance du Messie est dans son amour qu’il va déployer jusqu’à la croix, qui sera le lieu du jugement du monde, et de la délivrance de la mort et du péché : puissance de l’amour tellement inattendue…
Déjà Jean avait été surpris quand il avait vu Jésus débarquer au milieu du peuple, et demander le baptême. Il avait trouvé cela tout à fait inconvenant et avait dit à Jésus que c’était plutôt lui qui devait le baptiser. Oui mais la logique de l’amour est celle de l’abaissement et de l’humilité. La voie du Messie est autre que celle que Jean avait dans la tête. Et Jean a dû encore être troublé en apprenant que Jésus se mêlait aux gens, au point de manger avec les collecteurs d’impôts et avec les pécheurs ; Mais où était donc le jugement annoncé ? Ces questions esquissent la profondeur de la crise que Jean-Baptiste est en train de traverser, alors même qu’il est en prison et voué à la mort. Ne s’est-il pas trompé ? Toute sa prédication n’a-t-elle pas été une illusion ? C’est une vraie nuit intérieure, un trouble profond qu’il doit affronter. Au fond, on peut même supposer qu’il est déçu par Jésus : il n’est pas celui qu’il imaginait et qu’il a annoncé au peuple. Voilà le cœur de la crise de Jean ; et voilà la conversion que Dieu l’appelle à vivre : passer de son image du Messie à celle de Jésus le Messie.
Jésus va répondre avec une admirable délicatesse à son cousin en détresse : Il sait ce que vit dans son cœur, l’homme de Dieu blessé dans sa foi. Il lui rappelle alors d’autres prophéties, celle de la première lecture d’Isaïe. les aveugles voient, les sourds entendent, … Jésus accomplit bien les Écritures mais pas d’abord celles que Jean attendait : celles sur les guérisons et pas encore celles sur le jugement.
Non seulement Jésus n’interpelle pas Jean le Baptiste comme « homme de peu de foi », mais il montre une grande admiration pour celui qu’il appelle le plus grand des enfants des hommes.
Et il déclare heureux celui qui n’est pas scandalisé par son action, c’est-à-dire qui quitte ses déceptions, ses clichés pour entrer dans la manière de Dieu : celui qui se laisse faire et convertir par l’Esprit Saint. Et c’est ainsi que Jean va certainement comprendre par l’écriture qu’il ne s’est pas trompé sur Jésus mais que Dieu nous surprend forcément et est parfois différent de ce que nous pensons de Lui. Mais c’est un chemin à vivre car Jésus ne prouve rien ; il renvoie à l’intelligence du cœur de Jean pour qu’il fasse ce chemin intérieur et reconnaisse en Jésus le Messie, Celui qui doit venir. Et ce chemin va conduire Jean à la joie complète.
Voilà qui rejoint le climat de ce dimanche de la joie. La liturgie nous montre le chemin que nous avons tous à faire pour nous préparer à la joie de Noël.
Notre chemin de conversion sera semblable à celui de Jean le Baptiste : quitter nos fausses idées sur Dieu pour nous laisser évangéliser par le vrai Dieu. Renoncer à nos tristesses et à nos mauvaises humeurs pour entrer dans la vraie joie de Dieu. Ne croyons pas que c’est facile : c’est tout un chemin de vérité et de décentrement de nous-mêmes. Comme le Baptiste, il faut d’abord reconnaître devant le Seigneur qu’il nous déroute, voire qu’il nous déçoit. N’ayons pas peur de l’admettre et de lui dire, au lieu de nous mentir à nous-mêmes quand par exemple nos prières ne semblent pas exaucées. C’est justement en reconnaissant nos doutes et nos déceptions que nous pouvons laisser le Seigneur ouvrir nos yeux et sa Parole ouvrir nos oreilles à une joie plus grande, à un bonheur autre que celui que nous avions en tête.
Oui Seigneur : « dirige notre joie vers la joie d’un si grand mystère ». Amen