Homélie du XIIIè dimanche du temps ordinaire – Année A

2018-01-28T20:13:02+01:005 juillet 2017|

Mes chers frères et sœurs ! Dans le sport, comme dans la vie, on nous répète que nous devons être fair-play: « Il faut savoir perdre! On ne peut toujours gagner! » Cette expression sportive est surtout utilisée par les vainqueurs pour humilier encore les vaincus qui sont transformés en «mauvais perdants» et qui sont doublement humiliés… Nous savons tous combien il est difficile de perdre, surtout quand on voyait la victoire probable et proche. Nous l’avons vu dans la séquence électorale vécue récemment en France : certains candidats qui paraissaient fair-play se sont révélés en réalité « mauvais joueurs » et « très mauvais perdants »… Quand on est sur le point de réussir, perdre fait très mal. Pourtant, apprendre à savoir perdre, accepter de ne pas toujours gagner est une loi fondamentale et nécessaire de la nature, la vie humaine, et plus particulièrement de la vie de foi.

Dans la Bible, nous rencontrons un binôme contradictoire repris plusieurs fois sous différentes modalités. Nous le trouvons dans : «perdre et gagner», «perdre et trouver », qui est plus fort encore dans le binôme «mourir et ressusciter». Ces expressions, nous les trouvons, par exemple quand Marie et Joseph perdent leur adolescent Jésus, lors d’un pèlerinage à Jérusalem et son retrouvement trois jours plus tard au Temple au milieu des docteurs de la Loi. Nous trouvons encore cela dans la Parabole du fils prodigue : « mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé »

Remarquons un fait assez sérieux dans la culture de notre temps : nous acceptons de moins en moins les échecs. Nous refusons de perdre quelque chose auquel nous tenons, et moins encore de perdre quelqu’un que nous aimons… Perdre sa petite amie ou son petit ami est dramatique et provoque la dépression, perdre son travail nous plonge dans le désespoir. Sans sous-estimer le poids des épreuves, reconnaissons cependant que savoir perdre est décisif et indispensable dans un processus de croissance et de maturation humaine et spirituelle.

Nous ne pouvons pas toujours tout maîtriser! Il est impossible de tout contrôler toujours et partout ! Il y a certainement quelque chose qui nous échappe dans notre vie ! Et tant mieux parce que nous ne sommes pas Dieu. Dans la vie humaine, pendant tout notre parcours de la vie, nous ne pouvons pas tout garder ou tout conserver! Pensons un seul instant à la possibilité de garder tout de notre vie depuis notre naissance ! Pour que nous ayons de belles dents, il faut d’abord en perdre quelques-unes pour que d’autres plus belles et plus fortes puissent pousser ! Nous ne pouvons pas garder nos pieds de bébé, nos cheveux de bébé…Nous devons continuellement perdre quelque chose pour que quelque chose de nouveau puisse naître, croître, mûrir…En fin de compte, ces pertes naturelles et progressives sont une nécessité au service de la vie car elles nous rendent plus grands, plus forts et meilleurs.

Cependant, par un égoïsme tout infantile, signe que l’enfance n’est jamais complètement dépassée – même s’il paraît qu’il y a des gens qui ne veulent jamais quitter l’état de l’enfance- nous avons beaucoup de mal si quelque chose, quelqu’un, sort de notre petit monde et ne tourne plus autour de nous… Chaque perte, spécialement dans le domaine relationnel, a le goût amer de l’abandon, provoque des déchirements, la solitude.

Laissons cette analyse psychologique à deux sous pour revenir à la Parole de Dieu ! Dans le langage biblique, le verbe «perdre» a une signification très riche. Dans l’évangile d’aujourd’hui, et puisqu’il s’agit de la vie, le verbe «perdre» signifie en réalité «donner», c’est-à-dire, une «vie perdue sans rien demander» en retour. Donner sa vie, comme Jésus a donnée la sienne par amour pour nous, c’est se donner soi-même. «Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis» nous dit-il. Donner dans une pure gratuité, sans rien attendre, donner par pur plaisir et « avec plaisir » comme on dit en région toulousaine, donner sans calculer, sans rien attendre, telle est une autre grande difficulté de notre temps !

Nous avons de plus en plus de mal à donner sans calcul ! Notre culture souffre d’un énorme déficit de la gratuité du don, de ce don gratuit qui est une fin en soi ; un don qui ne suscite et n’attend rien de celui qui reçoit qui n’aura pas de scrupules de devoir quelque chose, de renvoyer l’ascenseur dans une occasion donnée… On nous apprend même à le faire avec intelligence pour que la personne qui reçoit ne se rende pas compte que notre don est calculé et ne réalise pas immédiatement qu’elle va nous devoir. Ne disons-nous pas très souvent à nos enfants, pour les protéger et les prévenir que «personne ne fait rien pour rien dans la vie », «que la vie ne nous fait pas de cadeau», «que faire confiance c’est très bien, mais que se méfier est encore mieux ». Depuis notre petite enfance nous respirons cette atmosphère de méfiance et de suspicion, et nous éduquons nos enfants dans le même sens ! « Il faut être malin, fourbe, car le monde appartient aux plus malins, aux plus fourbes pour ne pas se faire avoir »

L’évangile de ce dimanche nous invite à faire le contraire. L’élément le plus fascinant du message chrétien réside dans cette nouveauté radicale dans notre mode de penser pour discerner la volonté de Dieu, ce Dieu qui est Bon et qui nous appelle à être bons et parfaits comme lui, même si cela paraît paradoxal humainement. Avec et grâce à Jésus, comme dit Paul dans la deuxième lecture, nous pouvons aussi grandir dans une vie radicalement nouvelle : si nous sommes dans le Christ, nous sommes des créatures nouvelles, les choses vieilles doivent mourir en nous pour laisser naître l’homme nouveau. Cela suppose que nous acceptions de perdre notre vie, de porter cette croix scandaleuse qui nous pèse et nous humilie parfois, ces épreuves et humiliations qui nous font désespérer de notre capacité de repartir, de rebondir de nouveau, de sortir de nos peurs et de nos échecs. Ce que notre monde considère comme échecs, aux yeux de Dieu ces échecs, ces croix sont la voie du salut. Pouvons-nous librement accueillir la croix que le Christ nous invite à porter ?

Quand le Christ parle de la croix, il ne s’agit pas simplement de l’épreuve et de la souffrance que nous subissons. Il ne suffit pas qu’une situation, un événement, un aspect de notre vie soit douloureux pour se transformer en croix qui apporte le salut. C’est seulement quand ces épreuves ne sont pas portées de manière stoïque, mais accueillies, assumées et embrassées qu’elles deviennent pour nous des occasions de grandir dans l’Amour, dans la Foi et dans l’Espérance. Ces épreuves deviennent ainsi une possibilité nouvelle, une présence nouvelle, celle de l’Emmanuel, « Dieu avec nous », celle du Ressuscité qui marche à nos côtés, portant avec Lui les marques des plaies de la croix, mais vivant à jamais et victorieux du Mal. Jésus ne nous appelle pas seulement à prendre la croix ! Il dit : « celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi». Nos souffrances ne deviennent véritablement des croix que quand nous acceptons de les porter en suivant Jésus, c’est-à-dire de les porter dans la Foi.

L’autre nouveauté du Christianisme, c’est ce Dieu qui prétend que nous devons l’aimer plus que nos parents et nos enfants, qui nous invite à aller à contresens des lois du cœur qui nous penche naturellement à aimer nos proches, ceux avec qui nous avons des liens de sang… Cela paraît un paradoxe mais la foi authentique a toujours ce côté scandaleux, cet aller à contre-courant et au-delà de la logique purement humaine.

Seigneur, nous te prions de nous apprendre à transformer nos croix pastorales, familiales, amicales, professionnelles, physiques, celles de nos âmes et de nos corps… en instrument de salut car vécu dans la Foi, l’Espérance et l’Amour. Amen.

Ancien curé de l'ensemble paroissial