Mes chers frères et sœurs ! Dimanche dernier, nous avons contemplé Pierre lors de sa profession de foi, quand, à Césarée de Philippe, il a reconnu en Jésus, le Christ, le Fils du Dieu vivant. Une semaine après, nous contemplons encore le premier des apôtres, mais pour nous rendre compte qu’il avait une vision totalement erronée du Messie et de son Règne. Pierre, comme tout juif, attendait le messie. Mais pour lui, comme pour les Juifs, il s’agit du messie glorieux, identifié au nouveau grand roi, dans la lignée de David. Sa mission était de restaurer la gloire d’Israël, un royaume devenu, après David et Salomon, un petit peuple impuissant et écrasé successivement par les Babyloniens, les Assyriens, les Perses, les Grecs et les Romains.
Pierre a reconnu en Jésus le Christ Messie, et ce dernier lui a renvoyé l’ascenseur, en faisant de lui la pierre vivante sur laquelle il fonde la foi de l’Église. Pierre est l’homme qui devait soutenir et affermir la foi des autres disciples. Aujourd’hui, changement de décor. Simon-Pierre devient la pierre d’achoppement, la pierre qui fait tomber et qui scandalise. Cette histoire qui a bien commencé dimanche dernier se termine mal une semaine après.
Aujourd’hui, devant tous ceux qui étaient présents autour d’eux quand Pierre a fait sa profession de foi à Césarée de Philippe, Jésus veut maintenant expliquer à tout le monde ce que ça veut dire pour lui être messie et en quoi consiste sa mission. Pour Jésus, être messie veut dire : aucune gloire, aucun pouvoir, pas de compromis ni de compromission ! Le messie veut vivre à fond sa mission que le Père lui a confiée et y rester fidèle. Jésus explique que son choix est radical, et qu’il est plutôt disposé à mourir. Il leur explique que sa mission le conduira forcément à Jérusalem où il devra donner sa vie sur la croix.
En entendant ces explications, les disciples sont atterrés, choqués et abasourdis. Ils ne comprennent plus rien. Il y a encore une heure, sur la route, ils faisaient un mini-sommet pour savoir comment ils allaient former le gouvernement, qui au Quai d’Orsay, à Bercy, Place Beauvau, qui devait occuper le poste le plus important de Premier ministre, c’est-à-dire qui était le plus grand parmi eux. Matignon était déjà pris ! Pierre leur avait fait comprendre que ce poste-là lui appartenait déjà depuis sa promotion reçue du Grand Chef, Jésus lui-même lors de sa profession de foi à Césarée de Philippe. Tous les calculs étaient faits, les accords signés, gouvernement révolutionnaire de combat, comme celui de Valls. II est presque à pied d’œuvre ! Et maintenant, Jésus leur parle de douleur, de souffrance et de mort. Ça ne va pas du tout ! Il faut faire quelque chose. Le Messie doit être malade. Il a certainement perdu la tête et il faut dans l’urgence faire quelque chose pour sauver le pouvoir.
Et là, c’est encore Pierre que nous voyons ! Toujours le même ! C’est quand même lui le pape depuis qu’il a reçu sa promotion ! Pierre prend les choses en main. Il prend Jésus à part, l’interpelle et lui fait la morale, une petite leçon de politique et de diplomatie : « Écoute Jésus, il faut que tu changes de langage. En politique, la Com est importante. Il faut la soigner. Là, tu commences à tout brouiller et à pourrir le moral des troupes ! Arrête tes conneries, car tu nous décourages ! Tu risques de te retrouver tout seul, avec des ministres démissionnaires si tu continues à envoyer de tels messages ». J’essaye de reformuler et d’actualiser le message de Pierre. Nous autres chrétiens d’aujourd’hui, parfois, et très souvent même, nous voulons faire la leçon au Seigneur et lui apprendre comment faire, dire, gérer le monde qu’il a créé. La réaction de Jésus ne se fait pas attendre! C’est quand même lui le patron suprême. Opération de recadrage. Il invite Pierre à changer de mentalité et à redevenir disciple.
Très souvent, dans notre vie chrétienne, nous aussi, au lieu d’être à la suite du Seigneur, au lieu d’être derrière lui comme disciple, nous le précédons. Nous nous mettons devant lui… et c’est à lui de nous suivre. Au lieu de suivre le chemin qu’il nous indique, nous voulons lui indiquer le chemin qu’il doit prendre. Nous lui suggérons les solutions aux problèmes, au lieu de lui faire confiance et d’être rassuré de sa seule présence et de son action dans notre vie. Nous prétendons que c’est à Dieu de devenir notre disciple. Voyez comment Jérémie, dans la première lecture se comporte de la même façon. Il se plaint et se lamente contre Dieu. « Seigneur tu m’as séduit, et je me suis laissé séduire, tu m’as maîtrisé, tu as été le plus fort ». Jérémie voulait être le prophète n’annonçant que des bonnes nouvelles. Mais après l’avoir séduit, Dieu fait de lui un prophète casse-pieds, insoutenable et détesté de tous, même de sa famille. Maintenant, Jérémie en a marre et veut tout laisser tomber. Mais il revient à la source de sa vocation. Il se rappelle de l’Amour, la flamme, la beauté de ce Dieu qui l’avait séduit et à qui il n’a pas pu résister. Il comprend qu’il doit poursuivre sa mission.
Pierre lui, s’est mis à la place de Dieu. Chaque fois que nous autres chrétiens d’hier, d’aujourd’hui et de demain, voulons prendre la place de Dieu, comme Pierre, nous nous éloignons de notre mission et de notre vocation. Aujourd’hui, j’aimerais que chacun de nous se demande, dans le fond de son cœur, s’il est toujours sur le chemin que le Seigneur lui a tracé, dans sa vocation à laquelle le Seigneur l’a appelé : prêtre, époux, parent, professionnel, baptisés appelés à la sainteté… Demandons-nous si nous sommes toujours enracinés dans le Christ !
Après avoir sermonné Pierre et l’avoir remis à sa place de disciple, Jésus profite de ce recadrage pour préciser aux disciples ce qu’il attend d’eux. A travers les disciples, c’est à nous qu’il s’adresse aujourd’hui. Il ne veut pas nous caresser dans le sens du poil, faire de la démagogie, de la publicité mensongère, du marketing professionnel comme un chasseur de têtes ou un RH voulant séduire les candidats qui postulent en nous disant : « Cool, vous allez voir ! Ce poste est vraiment fait pour vous. Vous allez vous éclater professionnellement. Votre mission va être passionnante. Vous aurez une promotion chaque année, et une augmentation de salaire tous les 6 mois ! Ce sera merveilleux ! Vous aurez des RTT, nous nous partagerons les dividendes de manière équitables, vous aurez des vacances payées par le CE. Cool n’est-ce pas ? ».
Jésus ne veut pas nous caresser dans le sens du poil. Il ne cherche pas de disciples faciles. Il ne veut pas nous faire une opération de marketing facile pour nous séduire. La proposition d’embauche du Christ est dure et atroce, elle est lourde à porter, voire même insoutenable, parfois insupportable. Il nous dit « Tu veux être mon disciple, tu veux travailler pour moi. C’est parfait ! Mais voilà, cher ami, ma proposition d’embauche se résume en trois impératifs qui sont un véritable défi : Il va falloir que tu « renonces à toi-même », que tu « portes ta croix » et que tu « me suives».
Jésus nous dit aujourd’hui qu’un chrétien doit renoncer à la prétention de vouloir être toujours le centre de l’univers, renoncer à cette tentation de pouvoir qui nous pousse à vouloir prendre les meilleures places à tout prix, comme on fait dans le monde pour être vu de tous et être admiré. Cela est l’esprit du monde. Mais un chrétien doit être convaincu qu’il est unique, spécial, précieux, un vrai chef-d’œuvre. Nous n’avons pas besoin de nous battre pour le démontrer ou le prouver aux autres. Nous sommes chacun infiniment précieux aux yeux de Dieu. Au lieu de se battre pour le pouvoir et vouloir écraser les autres, un chrétien, comme le Christ lui-même son Maître, prend à cœur le bonheur de ceux qui sont autour de lui, il regarde au-delà et va jusqu’à mettre sa vie en jeu pour sauver les autres, les faire entrer dans le Royaume. Je suis prêtre aujourd’hui grâce à un prêtre qui a failli perdre sa vie pour moi, au cours d’une terrible nuit de guerre, pour me sauver, moi et mes camarades à l’internat du lycée, alors qu’il aurait pu facilement se barricader dans son couvent qui était sûr et bien protégé. Mais il a voulu en sortir pour sauver la vie de quelques dizaines de jeunes lycéens dont il avait la responsabilité. C’est cela suivre le Christ : risquer sa vie par amour !
Toi aussi chrétien, au lieu de chercher la gloire à tout prix, prends ta croix. N’aie pas peur d’aimer jusqu’à souffrir. Ne crains pas de souffrir par amour, d’aimer jusqu’à te perdre. Malgré les déceptions qu’il a vécues, le prophète Jérémie n’arrive pas à se détacher de l’Amour brûlant de Dieu qui l’a séduit un jour. Le chrétien doit aussi s’attacher au Christ, jusqu’à la croix. C’est tellement dommage qu’une certaine dévotion erronée ait détourné et détruit le sens profond de la croix. Elle est née comme la mesure de l’amour, un amour qui se donne jusqu’au bout. Mais aujourd’hui, la croix est devenue le symbole et l’emblème de la douleur, de la souffrance et de la mort. Sachez-le cependant, Dieu n’aime pas la douleur. Il ne l’exige même pas. Dieu ne nous demande pas de souffrir. Son seul commandement est d’aimer vraiment. Et vous savez par expérience qu’aimer signifie parfois accepter de souffrir. Jésus en sait quelque chose. Il nous le montre sur la croix, en nous aimant jusqu’au bout.
Toi aussi, partage le choix du Christ ! Mets-toi à sa suite. Choisis son rêve, son projet pour le monde. Être chrétien, c’est accepter que ce soit le Christ qui oriente nos choix de vie, avec équilibre et intelligence, en écoutant sa Parole, en nous laissant façonner par sa voix intérieure. Être chrétien, c’est changer d’horizon, connaître la Parole, faire que ce soit la foi qui motive et change nos choix de vie, en particulier les plus importants.
Au fond de vous, vous pensez que ceci est trop exigeant, que vous n’êtes pas en mesure de suivre Dieu de cette manière et sur cette voie aussi radicale. Vous pensez que tout ceci n’est pas raisonnable. Et vous avez bien raison. Nous essayons de rendre cette page de l’évangile acceptable, possible, rationnelle… Mais sachez bien que l’Amour de Dieu n’a rien de rationnelle. C’est plus que de la folie !
Mais cette folie-là, Dieu nous dit que nous pouvons la vivre avec lui. Nous pouvons être des chrétiens, des disciples qui suivent Jésus jusqu’au bout, et nous en sommes d’ailleurs capables, à la seule condition de le laisser prendre la première place. Cet évangile exigeant nous envoie dans la nouvelle année pastorale en nous rappelant que, tout ce que nous serons, ferons, vivrons, chercherons dans notre vie paroissiale, pastorale et personnelle, ce n’est rien d’autre qu’être vraiment à la suite du Christ et Lui laisser la première place dans notre vie et dans nos missions. Seigneur, apprends-nous et donne-nous la grâce d’aimer, jusqu’au bout, même quand nous portons nos croix. Amen.