Mes chers frères et sœurs ! La Parole de Dieu, en ce début septembre avec la rentrée pastorale, scolaire, les fêtes locales… après les grandes vacances (dont vous avez bien profité, j’espère), met en lumière deux aspects fondamentaux de la vie chrétienne que le Seigneur nous invite à vivre dans nos communautés, nos communes, nos équipes. Il s’agit du pardon et de la correction fraternelle. Vous allez voir combien même nous, bons catholiques croyants et pratiquants, sommes aussi très loin de ce que préconise l’Évangile.
Parlons d’abord du péché et du pardon, car pour qu’il y ait pardon, il faut qu’il y ait conscience de péché. Oh la la, c’est horrible ! Il ne faut pas parler du péché, diraient certains! En fait, on n’ose plus parler de péché… pour ne pas choquer… Mais, parlons-en… Certains croient que les catholiques, en ce qui concerne le péché, sont vaccinés, mieux préparés et plus avertis que les autres. Dans l’histoire de l’Église, nous avons passé des siècles à voir le péché partout. Nous l’avons trouvé même là où il n’existait pas! En théologie morale, dogmatique et spirituelle, nous l’avons analysé, décortiqué, sectionné, étudié, réparti en catégories, en péchés véniels, mortels, capitaux, graves et pas graves… Nous connaissons à fond ce que veut dire pécher. Aujourd’hui encore, certaines personnes identifient le christianisme à une religion morale qui a pour mission de dicter et décréter ce qui est bien et ce qui est mal, considérant l’Église comme une institution, la seule à avoir autorité de réaffirmer et définir ce qui est de l’ordre du péché. Cela n’aide pas l’Église malheureusement ! Dans le passé, nous avons tellement vu le péché partout… et paradoxalement, dans la société actuelle, le péché a disparu de la conscience ! Nous rencontrons de plus en plus de gens qui ont perdu toute notion de péché, des gens qui ne considèrent aucun acte comme peccamineux.
Notre société brandit la liberté absolue pour justifier chaque acte. Elle érige la conscience individuelle comme le seul critère de jugement moral de nos actions. On dirait que, dans notre société, pour se sentir vraiment coupable, il faut être un tueur en série! Même là, il y aura toujours quelques bons avocats et des psychologues experts pour trouver des circonstances atténuantes, des excuses pour justifier le crime et qualifier le criminel de coupable mais pas responsable ou l’inverse. Dans notre société libérale, au sens moral du terme, tout peut être excusable : l’égoïsme, la médisance, la violence verbale, la calomnie, la pornographie… Rien de mal dans tout ça ! Il s’agit de la manifestation de la liberté humaine. Nous trouvons des excuses à tout pour ne pas en porter la totale responsabilité.
Nous en faisons l’expérience à travers le sacrement de réconciliation. Nous allons nous confesser, pour demander pardon, mais nous nous trouvons des excuses, des circonstances atténuantes pour notre péché. Nous allons nous confesser en préparant d’avance notre plaidoyer, comme pour faire baisser nos années de prison, comme si nous allions au tribunal et que Dieu était un juge. Prenons quelques exemples qui ne touchent pas mes bons paroissiens, évidemment. « J’ai suis tombé(e) avec ma secrétaire, mon collègue parce que mon conjoint ou ma femme ne me touche plus actuellement », ou « parce que nous étions dans une soirée très arrosée et l’alcool m’a fait perdre tout contrôle». « J’étais bourré et je me suis trouvé dans ses bras, comme ça, sans le vouloir». «Mais pourquoi as-tu accepté d’être bourré ? » « Mais parce que j’étais obligé d’aller à cette soirée organisée par le Comité d’entreprise, entre collègues. Le but était de resserrer les liens!» Le Team Boosting s’est transformé en Team Killing ! Ou encore : « Je n’ai pas été à la messe parce que je me suis couché tard et j’étais fatigué ». « Et pourquoi tu t’es couché tard ? » « Parce que je suis resté devant la télévision ou le jeu vidéo jusqu’à 2h00 du matin » Ça, c’est pour les jeunes. Je caricature, mais c’est un mécanisme psychologique classique chez l’humain : se trouver toujours des excuses !
Dans la Bible, le péché est un péché comme tel. C’est un mal parce qu’il fait mal à Dieu, à soi-même et aux autres. L’homme, créé libre, reçoit de Dieu une conscience pour l’éclairer et sa Parole pour le guider dans sa vie. En faisant de notre liberté un absolu qui se substitue à Dieu, nous risquons de poser des actes qui détruisent les autres et nous-mêmes en nous coupant de Dieu. Mais sachez-le bien, le péché nous détruit parce qu’il nous empêche de devenir ce que nous sommes vraiment : des chefs d’œuvres du Seigneur, en nous défigurant. Dieu ne punit jamais le pécheur! C’est le pécheur lui-même qui se punit en s’engouffrant dans un bonheur illusoire qui le dégrade.
Pourtant, même empêtrés dans le péché, Dieu ne nous abandonne jamais! L’amour de Dieu nous accompagne et son pardon est toujours offert. En Jésus, Dieu désire pardonner, comme un don gratuit, une possibilité toujours donnée si nous le désirons aussi. Le pardon est une occasion pour renaître. Il est dommage de voir que dans notre société, une vision myope et erronée considère le pardon comme une faiblesse. On pense parfois que ce sont les faibles qui demandent pardon. Cependant, demander et accorder le pardon n’est jamais un acte de faiblesse, mais une force, une richesse. Le pardon est un acte de grandeur, car l’humilité nous fait grandir. C’est l’orgueil qui nous abaisse!
Je sais aussi qu’il est parfois très difficile de pardonner. Quand on a été vraiment blessé dans ses entrailles, on a besoin de temps, beaucoup de foi, d’une profonde conversion intérieure, pour pardonner. Ça nous choque de voir à la télévision un journaliste – très bête, je l’avoue, caméra et micro en main, en direct, interviewer la mère d’une victime d’un meurtre, à la sortie du tribunal, qui demande : «Alors madame, vous avez pardonné à l’assassin de votre fille? ». Quelle bêtise ! On ne peut banaliser le pardon. C’est quelque chose de tellement grand, beau, tellement sérieux qu’il demande du temps, du travail et beaucoup de patience. Il ne s’agit pas d’une émotion débonnaire, d’un coup de tête.
Pourtant, l’évangile d’aujourd’hui nous dit que malgré tout, même si c’est difficile, il est possible de pardonner. Le pardon est une manifestation de l’amour fraternel. Pour pardonner à quelqu’un, il faut l’aimer. Pas de pardon sans amour et pas d’amour vrai qui refuse de pardonner. Comme dans nos familles et notre communauté, il y avait aussi des conflits et querelles entre les premiers chrétiens. Une fois passé l’enthousiasme de l’adhésion à la foi récente au Christ, les premiers chrétiens devaient gérer aussi les conflits.
D’où la pratique de la correction fraternelle qui est le deuxième message de l’Évangile et dont le but est d’apporter la paix dans la communauté et susciter la conversion de celui qui se perd. Comment s’y prendre pour vivre la correction fraternelle ? Le Christ propose une méthode pleine de bon sens. Dans la correction fraternelle, il faut : de la discrétion, de l’humilité, de la délicatesse envers celui qui s’est trompé, lui laisser le temps de réfléchir, puis une intervention de quelques frères. Respecter la progressivité ! C’est la pédagogie de Dieu. Seulement en dernier recours, faire appel à toute la communauté. Nous sommes très loin de cette pratique dans nos communautés et familles.
Très souvent, nous parlons des fautes des autres, avec une certaine satisfaction sadique pour nous sentir meilleurs que les autres. Mais cela nous rend féroces et diaboliques. Un chrétien ne peut pas se réjouir des péchés des autres, critiquer les fautes des autres dans leur dos, sans faire une démarche de correction fraternelle. Si nous, chrétiens, enfants du Père Miséricordieux, bénéficiaires de la miséricorde infinie du Père, nous ne sommes pas en mesure de vivre et de faire miséricorde, qui pourra pardonner alors dans la société ? Si nous, conjoints, parents, prêtres, chrétiens, ne savons pas nous corriger fraternellement avec compassion, qui pourra le faire ? Si nous, qui reconnaissons les bienfaits et la consolation du pardon dans le sacrement de réconciliation, si nous ne savons pas nous pencher sur le frère blessé par son péché, comme le Christ, Bon samaritain s’est penché sur le blessé de la route de Jéricho, qui pourra le faire ?
La franchise est la condition d’une vraie correction fraternelle. Il faut parfois être dur, par amour, pas pour écraser ou humilier l’autre, mais pour l’aider à se relever, comme l’a fait Jésus avec Pierre dimanche dernier.
Dans nos communautés, services, groupes, nos familles, essayons de vivre la correction fraternelle. C’est une manière de prendre à cœur le destin et le salut de ceux qui nous entourent, sans nous cacher derrière ce respect faux et hypocrite qui n’interpelle jamais, ne fait jamais aucun reproche, mais laisse l’autre s’enfoncer petit à petit jusqu’à sa perte. Voilà un programme pour cette année. Demandons au Seigneur, en cette rentrée, de faire de nous, dans nos familles et notre communauté, des prophètes et témoins de l’amour qui pardonne , réconcilie et qui remet debout. Amen.