Mes chers frères et sœurs ! Il y a quelques jours, notre archevêque à Lourdes nous donnait le programme que nous sommes appelés à vivre dans tout notre diocèse : être et devenir des communautés des disciples-missionnaires. Pour cela, en ce week-end de rentrée paroissiale, inspiré par la Parole de Dieu, je voudrais vous donner un programme qui soutiendra celui de Mgr Le Gall, mais qui risque peut-être de vous choquer dans sa formulation littérale : « construisons et soyons une communauté des pécheurs » sur notre ensemble paroissial ! Oui, je sais que c’est un programme qui pourrait choquer certains parmi vous… mais, comme l’évangile nous y invite, ne me condamnez pas, ne me jetez pas les pierres, mais soyez indulgents pour comprendre le sens de ce programme bizarre que j’aimerais vivre avec vous. Fabriquer et être une communauté des pécheurs! Là, j’entends certains qui disent : «N’importe quoi ! Il est vraiment perdu ce curé ! Dieu nous invite à former une communauté des saints, appelés à la sainteté… mais pas une communauté des pécheurs !» En tout cas, ne sortez pas de cette église, mais soyez miséricordieux !
Cette année, je voudrais que les prêtres et diacres, séminariste, les fidèles, catéchistes, dans toutes les équipes et mouvements, dans nos communautés paroissiales locales de proximité…nous nous aidions mutuellement à avoir une vraie et chrétienne approche du péché et du pardon. Il s’agit de prendre conscience que nous sommes d’abord des pauvres pécheurs appelés à puiser dans la miséricorde de Dieu, pour devenir ensuite une communauté des saints. Sans cette prise de conscience d’être une communauté des pécheurs, nous ne serons jamais une communauté des saints. Il s’agit de convertir ceux qui sont déjà chrétiens à la vraie logique de l’évangile, et convertir les athées à la nouveauté extraordinaire de la Bonne Nouvelle de Jésus, aider les chrétiens, les catholiques, les non croyants et les athées, à dépasser les multiples visions superficielles, réductrices, mesquines, moralisantes et culpabilisantes du pardon et de la foi chrétienne.
En cette année pastorale, même si nous ne sommes plus dans le Jubilé de la Miséricorde, réfléchissons et vivons le pardon et la miséricorde de Dieu… Oui, nous en avons besoin dans nos familles, avec ces querelles interminables, ces guerres entre les nations, ces tragédies de viols, enlèvements, attentats… Seule la découverte de la miséricorde de Dieu nous permettra de guérir de ces plaies qui nous divisent, nous éloignent les uns des autres en repoussant l’autre parce que différent dans sa sensibilité spirituelle, liturgique, pastorale, sa couleur de peau, son village d’origine, son engagement politique ou ecclésial. En effet, nous devons apprendre à nous accueillir dans le pardon et la miséricorde parce que nous sommes les enfants d’un même Père Miséricordieux.
Que veut dire pardonner ? Peut-on tout pardonner ? Et si l’autre abuse de mon pardon ? Doit-on tout pardonner ? Jusqu’à quel point peut-on pardonner ? Combien de fois faut-il pardonner une offense ? Voilà des questions que nous nous posons pour limiter le pardon… Mais sachons-le bien, ces questions sont déjà présentes dans la Bible.
La réponse à ces questions est « toujours, pardonner toujours ! » Désolé si je choque certains parmi vous, mais le pardon, quand il est enraciné dans le cœur Miséricordieux de Jésus, doit être donné toujours parce que c’est Jésus qui pardonne toujours en nous et par nous, quand le pardon est demandé de manière sincère ! Au temps de Jésus, les rabbins suggéraient de pardonner jusqu’à trois fois une offense subie pour manifester la clémence et la miséricorde. Simon Pierre, pense devenir un héros en proposant de pardonner 7 fois ! Il se prend pour un tendre ! Pardonner 7 fois, c’est énorme ! Pensez un peu à votre voisine, collègue ou à l’autre catéchiste, ou membre de votre communauté paroissiale locale… que vous n’aimez pas beaucoup et vous croyez qu’il ou qu’elle ne vous aime pas – vous en êtes d’ailleurs convaincu – à qui vous avez à peine pardonné ses critiques méchantes… et qui 10 minutes plus tard, va cracher sur vous dans l’autre groupe ! Vous le lui pardonnez vraiment ? Non, n’exagérons pas ! N’abusons pas du pardon, vous dites! Mais voici la réponse de Jésus : à cette collègue, voisine… qui vous déteste et vous tue par ses paroles méchantes et son regard assassin, Jésus ne vous demande pas de pardonner, comme Pierre, 7 fois seulement… mais bien soixante-dix-sept fois sept fois, c’est-à-dire toujours pardonner !
Et pourquoi ? C’est injuste de toujours pardonner, disons-nous pour justifier nos rancœurs ! Mes amis, nous devons pardonner parce que le Seigneur nous invite à passer de l’attitude de juge à celui de l’accusé et du condamné ! Dans la foi chrétienne, nous sommes pécheurs et nous sommes pardonnés par une telle largesse et générosité de Dieu que nous ne pouvons pas ne pas pardonner. La petite dette que nous avons envers nos frères, ou que nos frères ont envers nous n’est rien par rapport à la dette monstrueuse et incomparable que nous avons envers Dieu. Et Lui, de sa croix, avant de mourir s’adresse au Père, en disant : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Alors qu’on lui ôte la vie, Il a effacé toutes nos dettes !
Dans cet évangile, la dette du serviteur est volontairement voulue absurde par saint Matthieu. Un talent équivaut à 36 kg d’or. Dix mille talents est un chiffre inimaginable. On dirait qu’il s’agit du Produit Intérieur brut de tout un pays du Quart-Monde ! Jamais une telle dette n’aurait été soldée par une personne ! Et pourtant, cette dette est entièrement remise ; pas celle du serviteur mauvais, qui tout en étant aussi importante parce qu’elle nécessitait 200 jours de travail, n’est en rien comparable à celle du patron. La réaction du patron est féroce : tu es appelé à pardonner parce qu’il t’a été pardonné infiniment plus. Telle est la raison du pardon vraiment chrétien : je suis appelé à pardonner à ceux qui nous offensent parce que les premiers nous avons été pardonnés.
En fait, je ne dois pas pardonner à l’autre pour qu’il devienne meilleur, ou pour qu’il se convertisse, ou pour qu’il devienne plus tendre, plus aimant. D’ailleurs, rendez-vous compte que parfois l’autre ne se rend même pas compte d’avoir été pardonné, et méprise ce geste qui pourtant m’a coûté des heures de prière et beaucoup de travail sur soi. Je ne pardonne pas pour que l’autre change, mais un chrétien pardonne d’abord parce qu’il a besoin de changer. Le pardon me met dans une situation nouvelle, différente en me rendant semblable à ce Dieu qui fait pleuvoir sur les justes et les injustes, et qui nous appelle à être parfaits comme lui-même est parfait.
Un chrétien ne pardonne pas parce qu’il est meilleur. Le pardon n’est jamais une amnésie, l’oubli total de l’offense subie. Je ne pardonne pas pour oublier ! Bien au contraire, je pardonne parce que je fais le choix de pardonner. Te revoir, toi qui m’as blessé, rouvre en moi la plaie de la blessure, je suis vraiment mal comme une plaie ouverte… mais j’ai choisi la voie de la liberté.
N’attendons jamais un pardon parfait, angélique, extraordinaire… Nous pardonnons comme nous pouvons, au meilleur de nos capacités et de nos forces spirituelles et psychologiques…. Prions pour avoir cette grâce de savoir pardonner et demander pardon. Nous pardonnons parce que nous sommes pardonnés par le Seigneur, parce que le pardon nous rend extraordinairement libres. Et si l’autre considère le pardon comme une faiblesse ? C’est un risque à prendre, un risque que Jésus a pris en pardonnant à ceux qui le crucifiaient. Et pourtant, nous le croyons, ce paradoxe transforme les cœurs, peut-être pas tous, mais beaucoup de cœurs sont transfigurés par le pardon inconditionnel qu’ils reçoivent.
Mes chers frères et sœurs, en cette année pastorale, vivons comme des fils pécheurs mais pardonnés car enracinés dans le cœur miséricordieux du Père. Nous avons besoin de pardonner pour nous accueillir, en communauté ecclésiale, comme des êtres fragiles, imparfaits, mais tous riches et enrichis de cette miséricorde infinie de Dieu qui nous appelle à aimer et à pardonner comme Lui, sans calculs. Les familles, groupes, services, CPL, paroisses… seront transfigurés complètement s’ils vivent vraiment le pardon reçu et donné. Prendre conscience de son péché, fabriquer des pécheurs conscients… est la première étape pour comprendre la logique du pardon que nous sommes appelés à donner, toujours, sans compter, pour ressembler à notre Père des Cieux. Amen.