Mes chers frères et sœurs. L’expression « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », prononcée par Jésus devant cette bande d’hypocrites qui l’entourent, fonde le principe fondamental de la relation du chrétien au pouvoir civile et politique. Quand j’entends parfois parler de laïcité dans notre pays, certains politiques pensent avoir inventé la lune, avoir inventé quelque chose de nouveau et de totalement original. Et là encore, comme cela arrive souvent dans notre pays, on cherche à instaurer des structures et célébrations laïques, comme par exemple « un baptême républicain » ; « une morale républicaine et laïque » en empruntant vocabulaire et expressions au registre chrétien… mais pour s’insurger contre le christianisme ou la religion en général. On veut fonder une religion laïque, républicaine, sans Dieu… Mais on oublie qu’en réalité, la vraie laïcité, celle qui refuse toute confusion et toute guerre entre le civil, le politique et le religieux vient de Jésus lui-même qui, dans l’évangile que nous venons d’écouter nous dit « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ».
Mais attention ! La foi chrétienne ne dispense pas de l’obéissance aux autorités civiles et politiques. D’ailleurs, dès la naissance de l’Église, parmi les fausses accusations dont les premiers chrétiens persécutés faisaient l’objet, il y avait celle d’être « de mauvais citoyens » qui refusent de payer les impôts, d’adorer le dieu César, Empereur de Rome… Ce qui était évidemment faux. Et les premiers Écrits des Pères de l’Église, rappellent que les chrétiens ne sont pas de mauvais citoyens. Ils remplissaient leurs devoirs civiques : ils votaient, payaient leurs impôts, s’impliquaient dans la société civile…même s’ils reconnaissaient que l’autorité de Dieu est au-dessus de tout autre autorité civile et politique.
La foi chrétienne ne nous dispense donc pas de l’obéissance à l’autorité civile. Elle reconnaît la légitime autonomie du pouvoir politique. Saint Paul développe cela dans La Lettre aux Romains (13, 1-2) « Que chacun soit soumis aux autorités supérieures, car il n’y a d’autorité qu’en dépendance de Dieu, et celles qui existent sont établies sous la dépendance de Dieu ; si bien qu’en se dressant contre l’autorité, on est contre l’ordre des choses établi par Dieu, et en prenant cette position, on attire sur soi le jugement ». Il nous faut donc nous soumettre à l’autorité, non pas par peur de la punition… comme quand vous ralentissez sur l’autoroute en voyant le signal d’un radar fixe à quelques mètres, par peur de perdre vos points de permis et payer une amende de 135 euros… Mais il faut respecter la loi comme par exemple, la limitation de vitesse pour une raison de conscience, parce que c’est bien de le faire, pour ne pas mettre sa vie en danger ni celle des autres…
C’est pour cela que les chrétiens doivent payer leurs impôts… même si le Trésor Public n’est pas au service de Dieu. Rendez donc à chacun ce qui lui est dû : à l’État, nous devons payer nos taxes et impôts. Ce qui veut dire que le chrétien qui fait de l’évasion fiscale, qui ne respecte pas le code de la route en mettant en danger sa propre vie et celles des autres automobilistes, ceux qui font travailler au « black », sans déclarer leurs salariés, ceux qui trichent et utilisent leur pouvoir politique ou administratif à des fins personnelles… tous ces chrétiens-là ne commettent pas seulement des délits du point de vue civile et pénal, mais ils commettent aussi des péchés graves contre Dieu.
Tout ceci est cependant le premier aspect de la laïcité prônée par Jésus, car il y a bien un autre aspect plus important encore. Ce deuxième aspect nous appelle « à rendre à Dieu ce qui est à Dieu ». C’est là que les choses deviennent plus compliquées. A première vue, ceci semble un parallélisme logique, mais en réalité, il s’agit d’un bouleversement total. Quand nous parlons de Dieu, nous pensons à Celui en qui nous avons la vie, l’être et le mouvement, en qui nous existons et à qui nous devons tout. Qu’avons-nous que nous n’ayons pas reçu de Dieu ? Et si nous avons tout reçu du Seigneur, nous ne devons ni nous vanter ni tirer orgueil de quoi que ce soit ! Notre relation à l’autorité peut s’exprimer en terme de donner et de d’avoir, comme « donner plus d’impôt » (ISF qui est supprimée, la loi a été votée hier) parce que nous « avons plus de richesse ». L’État assure ainsi une société où règne, dans la mesure du possible, un certain ordre, une certaine justice sociale, une certaine paix, garantit certains services comme l’éducation, les transports, la santé, la retraite des personnes âgées… et tout cela exige que chaque citoyen y participe.
Mais avec Dieu, il faut aller plus loin. Avec Lui, nous ne pouvons pas jouer à ce jeu de donner et d’avoir. D’ailleurs, Jésus le souligne quand il nous dit que nous ne pouvons pas mettre de limite à notre relation envers Dieu : « « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de tout ton esprit » (Mt 22, 37). Cela nous rappelle que nous devons tout au Seigneur et que nous ne pouvons pas calculer ce que nous lui donnons. Ce que nous avons, ce que nous sommes vient de Lui, lui appartient. Dans notre relation à Dieu, il nous faut abandonner la logique commerciale et servile. Il nous dit en effet, « Je ne vous appelle plus serviteur, parce que le serviteur ou esclave ne sait pas ce que fait son maître. Je vous appelle amis parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître ». (Jn 15, 15).
Nous avons une éloquente illustration de tout cela dans la parabole du fils prodigue, quand l’aîné dit à son Père : « Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras » (Lc 15, 29-30). On voit bien que dans le cœur de ce fils aîné, il n’y a pas d’amour ! Il a tout fait mais sans amour. Son obéissance, sa loyauté, ses services ont été fait sans amour, mais uniquement par devoir… comme on peut le faire avec son patron… Ceci l’a empêché d’accéder à une relation authentique d’amour avec lui. Il s’est comporté comme un serviteur, un employé loyal, mais pas comme un fils. C’est pour cette raison qu’il ne comprend pas et ne partage pas la joie du père quand son jeune frère revient à la maison.
Nous sommes donc invités à traduire différemment cette phrase relative à César et à Dieu. Cette expression veut dire autrement « Donnez à César comme on donne à César, en terme de donner et d’avoir, mais donnez à Dieu comme on doit donner à Dieu, comme on donne à un Père ». Cela nous appelle à changer de cœur et de modalité en donnant à Dieu. Rien ne peut se calculer avec Lui. La relation filiale avec Dieu nous invite à dépasser la logique du devoir, de l’avoir, de la justice purement humaine ! Jésus nous rappelle que son Père fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes, sur les bons comme sur les méchants. Il nous invite à aimer nos ennemis, à prier pour ceux qui nous persécutent, à nous réjouir pour le retour du fils prodigue et entrer dans sa joie. Il nous dit : « mon fils, tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi… Il fallait donc festoyer parce que ton frère que voici était mort mais il est revenu à la vie ; il était perdu il est retrouvé ».
C’est seulement dans cette logique que nous pouvons comprendre les paroles de saint Paul quand il dit qu’il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. Très peu de gens payent leurs impôts avec un sourire aux lèvres ! Bien au contraire, on râle toujours et on trouve l’impôt toujours injuste… et l’actualité en dit long ! Au Seigneur au contraire, nous devons donner avec un sourire aux lèvres, dans la joie, par amour, librement parce que nous Lui rendons grâce pour ses merveilles, pour tout ce que sa bonté nous donne, parce que nous avons tout reçu de lui. Que le Seigneur nous libère de tout esprit de devoir et de calcul avec Lui… et qu’Il nous donne de Lui rendre grâce car Il est notre Tout. Amen.