Mes chers frères et sœurs ! L’Église conclut l’année liturgique en disant au revoir à Matthieu, le publicain, dont l’Évangile nous a accompagné ces derniers mois. Cette année liturgique se termine ainsi avec un passage de l’Évangile de Saint-Matthieu compliqué, et cette fête du Christ-Roi qui est difficile à comprendre.
L’Église, en célébrant la fête du Christ Roi ne manifeste aucune nostalgie monarchiste même s’il parait que beaucoup de chrétiens en France veulent restaurer la monarchie ! Cette image du Christ Roi de l’Univers, un peu vieillotte, veut réaffirmer une donnée importante de la foi chrétienne : Jésus, le charpentier de Nazareth, ce juif marginal qui a vécu il y a plus de deux mille ans et qui est mort en croix, c’est vraiment lui le vrai Roi de l’Univers, l’Alpha et l’Oméga, le premier et le Dernier, le début et celui qui a la dernière Parole, qui donne la mesure et la signification à toute existence humaine, et c’est Lui qui révèle tous les mystères cachés de la divinité. Cette fête nous redit que notre vie a un sens, une direction et que c’est un Roi plein d’amour qui nous attend, les bras ouverts. Dire que Jésus est souverain pour moi, cela signifie que c’est seulement en Lui que mon quotidien trouve son sens.
Cet évangile peut être choquant. Le climat qu’il décrit est tendu ! Nous n’aimons pas cette vision d’un Dieu, juge implacable comme certains peintres nous l’ont décrit, à l’exemple de ce Christ imposant et puissant de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine. Mais, qu’on le veuille ou non, cet évangile a un lien avec le Jugement Dernier, une donnée de notre foi que nous avons parfois tendance à oublier parce que nous voulons et désirons professer la foi en un Dieu non pas juge implacable et dur, mais un Dieu plein d’amour, de compassion et de tendresse… Bref, un Dieu tellement cool, qui nous caresse dans le sens du poil.
La clef de lecture de cet évangile est une donnée fondamentale de tout l’enseignement de Jésus, et donc de l’Église : son option préférentielle pour les plus faibles. Jésus, Bon Berger et Roi par excellence accueille les brebis qui l’ont reconnu à travers le visage du plus pauvre, du plus faible, du persécuté, de l’affamé, l’assoiffé, l’étranger. Dans la Bible, il y a sans cesse cette valorisation des gestes de compassion envers les petits, les faibles et les pauvres. Jésus dit explicitement que c’est de lui dont nous prenons soin en étant attentifs aux pauvres et aux faibles, à l’étranger, au prisonnier, à l’affamé… Le Seigneur s’identifie à la personne écrasée par la vie, et nous voyons que cette identification est méconnue par les disciples étonnés d’avoir fait du bien à Dieu, à travers le pauvre, sans le savoir. Le message de Matthieu est clair : notre rencontre avec Dieu, la foi véritablement chrétienne change notre mode de voir les autres et de vivre avec eux. Dieu est présent dans le visage défiguré du pauvre, de nos frères et sœurs. Et réalisez bien que Jésus ne parle pas de « bons pauvres », « de pauvres gentils » ou de prisonniers innocents victimes d’une erreur judiciaire. Même dans le pauvre qui a tout perdu à cause de sa propre faute parce qu’il a dilapidé sa richesse ou dans le prisonnier meurtrier condamné à perpétuité, nous pouvons toujours reconnaître quelques traces du visage de Dieu.
Dans cet évangile, il y a la répétition de la même idée en positif et en négatif. Dans la deuxième partie, que nous n’aimons pas entendre… et qui est laissée de côté par les familles en deuil lors des célébrations des funérailles, quand cette parabole est choisie : elles ne veulent mentionner que les côtés lumineux du défunt, au lieu de réaliser que ce même défunt a eu quelques zones d’ombres.
Jésus affirme que celui qui ne le reconnaît pas dans le pauvre, l’étranger, l’assoiffé et l’affamé sera jeté dans le feu de la Géhenne ! Oh, pardon, je vous choque en parlant de la Géhenne, de l’Enfer ! Il parait que beaucoup de chrétiens ne croient pas que l’Enfer existe ! Oui, il existe, et Jésus nous en parle… même si sa volonté est que personne n’y aille : « Or la volonté de mon père, c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a confié, mais que je les ressuscite tous au dernier jour ». Si nous refusons librement de reconnaître et d’aimer Dieu à travers le frère et la sœur, l’enfer est la destinée que nous choisissons.
Que va-t-il donc se produire à la fin des temps quand Jésus viendra juger les vivants et les morts, comme nous le disons dans le Credo ? Cela est écrit noir sur blanc dans l’évangile ! Mettons de côté le petit tableau comptable où nous avons mentionné seulement le nombre des messes célébrées ou vécues, le nombre d’heures de prières, de pèlerinages, de confessions, d’adoration…. Tout cela est bien, mais Jésus nous dit que c’est insuffisant. Le Seigneur –Roi de l’Univers et Juge– nous demandera si pendant notre vie, nous l’avons reconnu dans le pauvre, le faible, la personne fragile, la personne âgée abandonnée dans une maison de retraite ou dans son appartement, le parent insupportable, l’étranger qui, de surcroît n’est pas de votre religion… Oui, vous l’avez bien compris : le jugement dernier se fera sur ce que nous aurons fait pendant notre pèlerinage terrestre.
La foi chrétienne est concrète et transforme notre vie. Il ne s’agit plus de paroles et de concepts. La prière véritable contamine et irrigue notre vie, elle nous convertit en nous incitant à faire le bien autour de nous. La célébration eucharistique ne s’arrête pas à la sortie d’une église, mais elle se poursuit par le témoignage d’une vie donnée qui glorifie Jésus dans le quotidien, avec la famille, les voisins, les collègues de travail, les membres de la communauté… Alors, oui, la prière, l’eucharistie, la confession… sont des instruments de communion avec Jésus et entre nous, dont la finalité est de faire de notre vie un lieu et un témoignage concret de foi. Si nous savons porter notre foi de l’intérieur d’une église à la vie dans la société, de l’intérieur à l’extérieur du cœur, du lointain au plus près, en reconnaissant le visage de Jésus contemplé et adoré dans l’Eucharistie dans les visages de nos frères et sœurs en humanité, alors, oui nous serons sauvés ! La royauté du Christ, Roi de l’Univers se manifeste dans nos gestes concrets à travers lesquels nous le construisons déjà ici et maintenant, en vivant notre vocation de baptisé car, à travers le baptême, nous qui partageons la dignité de Roi de Jésus. Cette royauté du Christ grandit chaque fois que nous savons aimer nos frères en étant des miroirs de la miséricorde et des témoins crédibles de sa compassion.